Noël approche, le compte à rebours a commencé.
La revue délibéré qui, par le passé, a pu vous offrir un horoscope de la rentrée, a bien sûr songé à vous proposer un calendrier de l’avent. Ils sont très à la mode, et les marques, quel que soit leur secteur (cosmétique, chocolat, tisane, parfum, bière, sextoys, bijoux, etc.), s’efforcent maintenant toutes d’en proposer. Et cela, au nez et à la barbe du gouvernement qui pourtant mène une charge sans pitié contre toute atteinte à la laïcité. Nous, à délibéré, nous avons préféré ne pas. Mais, tout de même, rien à faire, cette histoire de calendrier nous titille.
Personnellement, j’ai appris, il y a de cela bien longtemps, la vérité sur ce qu’on appelle le calendrier grégorien, du nom de son instigateur, le pape Grégoire XIII, qui l’a imposé pour remplacer, en 1582, le calendrier julien, lequel avait accumulé un retard considérable sur les dates équinoxes, avec neuf années bissextiles de trop au compteur. Bref, cette année-là, sur décision papale, on passa, dans les pays catholiques, pour faire de nouveau coïncider calendrier officiel et soleil, sans transition du 4 au 15 octobre. « Ce fut proprement remuer le ciel et la terre à la fois », écrit Montaigne dans ses Essais. Un vrai bordel, quoi. Car on en fait quoi, de ces onze jours qui n’ont pas existé ? Le mois amputé doit-il être payé intégralement à ceux qui ont travaillé ? Qu’en est-il des loyers, quand de fait les locataires n’ont pas occupé leur logement un mois entier ? Et que faire de ce qui s’est passé cette nuit-là, justement, cette nuit qui en réalité dura onze jours ? Cette nuit où, hasard… du calendrier, Thérèse d’Avila rendit l’âme. Et puis, on en fait quoi du décalage désormais établi entre les pays catholiques, au rythme grégorien, et les autres. Les Protestants, bien entendu, ne suivirent pas la décision papale : « Les protestants préfèrent être en désaccord avec le Soleil plutôt qu’en accord avec le pape », commentait alors l’astronome Johannes Kepler.
Depuis longtemps, j’attends que quelqu’un raconte l’histoire de ces onze jours qui n’ont jamais existé. D’où ma stupéfaction en découvrant le dernier ouvrage de Didier da Silva, intitulé Dans la nuit du 4 au 15 (préface de Jean Echenoz, Quidam éditeur). Du 4 au 15, vraiment ? J’ouvre le livre. C’est une éphéméride, faite de 366 textes de longueur inégale. Je fonce à la date du 4 octobre (ôtez-moi d’un doute) :
« Un quatre octobre à minuit expira en Europe […] le calendrier dit julien, lequel par une erreur de Sosigène d’Alexandrie, qui l’avait établi, accumulait depuis la Rome antique la bagatelle de onze jours de retard sur les équinoxes, la Pâque tombait n’importe quand, de sorte que le calendrier grégorien, qui lui succéda et demeure le nôtre […] décréta que le lendemain serait le 15, ni plus ni moins : ainsi, du 5 au 14 octobre 1582, on peut dire avec une certitude unique dans toute l’histoire du monde qu’il ne se passe rien : le reste du temps, on en est empêché par un doute raisonnable. »
Ensuite, je feuillette. Car l’ouvrage, bien sûr, peut se lire dans l’ordre ou le désordre. On peut sauter d’une date à une autre, et les anecdotes se mêlent aux rencontres qui se mêlent aux portraits, aux morts comme aux naissances. On y rencontre Trenet, Trump, Bernadette Soubirou, Staline, Meryl Streep, Van Gogh, Zola, Elvis Presley, Oussama Ben Laden, ou Buffalo Bill. On s’y promène de jour en jour et, bon an mal an, vous verrez cela, Noël arrivera sans que vous y ayez pris garde.
Et voilà.
Et ceci n’est pas un calendrier de l’avent.
Nathalie Peyrebonne
Livres
Didier da Silva, Dans la nuit du 4 au 15, préface de Jean Echenoz, Quidam éditeur, novembre 2019, 262 p., 20 €
0 commentaires