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L’entrepôt Macdonald, une ville décorative
| 03 Mar 2016
Entrepôt Macdonald. Façade sud. ©Sergio Pirrone

Entrepôt Macdonald. Façade sud ©Sergio Pirrone

Que l’on y arrive par le RER E en sortant à la toute récente gare Rosa Park, ou que l’on s’y glisse en tramway T3, déboucher dans le nouveau quartier-paquebot Macdonald, aujourd’hui en voie d’achèvement, est excitant. Car nous sommes encore à Paris, dans le XIXe arrondissement, entre les portes de la Villette et d’Aubervilliers. Mais dans un Paris qui repousse ses limites, encore assez inconnu pour ceux qui n’y travaillent où n’y habitent pas.

On se trouve face à une muraille hybride, un type de concentration de bâtiments inédit, à la fois horizontale et verticale, un ensemble compact, minéral, dont les façades adoptent des décors très différents selon les 15 architectes qui ont oeuvré. 1125 logements et des bureaux sont posés sur l’ancien entrepôt Macdonald (conçu par Marcel Forest en 1971), évidé d’un tiers, creusé par des jardins, des patios et une place. Cette mini-ville longue de 617 mètres, accueille 4000 salariés, 1000 collégiens et écoliers, attend 3500 habitants. Elle relève de tous les superlatifs et résulte d’un urbanisme négocié, privé-public, initié par la mairie de Paris. L’opérateur du projet est la SAS ParisNordEst, regroupant un investisseur, la Caisse des dépôts (50%), sa filiale Icade comme promoteur (30%) et un aménageur, la Semavip, société d’économie mixte de la Ville de Paris (20%).

Entrepôt Macdonald. Place centrale et façade sud © Cyrille Weiner

Place centrale et façade sud © Cyrille Weiner

Cette monumentale mégastructure n’est plus une barrière, elle est traversée par le tram, et devient un grand portail ouvert vers Saint-Denis et Aubervilliers. Elle permet de tisser des liens au plus près d’elle, entre le long boulevard-promenade Macdonald, son cinéma UGC, la ZAC Claude Bernard, la Cité Michelet, le périphérique enjambé par la passerelle conçue par l’agence DVVVD, le canal Saint-Denis, et une rivière de voies ferrées qui seront bordées par un jardin ouvert.

Vue du plot S3 (Stéphane Maupin & Partners). ©Stéphane Maupin

Vue du plot S3 (Stéphane Maupin & Partners). ©Stéphane Maupin

Mais qu’est ce qui bloque pourtant quand on regarde ce palimpseste urbain artificiel, ce bourg perché monolithe ? Il se voulait en rupture avec les ZAC, les quartiers sur dalle, alors que les jardins intérieurs sont privés ? C’est qu’il se présente, en dépit de quelques failles ici et là, d’un bâtiment-pont, comme une frise continue de plots à la même hauteur, de strates de matériaux et de couleurs telle une collection de papiers peints (Stéphane Maupin gagne la palme de l’hyper décoratif avec son foyer pour jeunes travailleurs sur la face sud). Dans cet inventaire d’écritures souvent connues, ne sont pas nées là d’autres formes d’habitats ni de bureaux. Au final, les normes imposées par les promoteurs et bailleurs – surfaces (toujours ces minuscules chambres des logements), ouvertures, hauteurs – ont presque tout corseté dans cette opération originale au départ, qui aurait pu être plus collective et inventive dans ses programmes.

Mais nuançons cette perplexité avec quelques bâtiments visités, confortables. Le foyer social pour étudiant du CROUS signé par l’agence AUC (Djamel Klouche et Caroline Poulin) jouit d’une position originale, il est le seul à traverser perpendiculairement l’entrepôt en son centre, séparant habitat et bureaux. Avec ses façades plissées, il serpente, comme ses couloirs intérieurs noirs, et débouche au nord sur une fenêtre urbaine en porte à faux qui lui donne de l’élan et une vue précieuse. Mais cet équipement, s’il tente d’agrandir l’espace de la chambre avec des salles d’eau ouvertes, ne rompt pas avec le programme de la cellule standard pour une jeune personne, et n’offre pas de services mutualisés.

Entrepôt MacDonald, Paris. Façade nord, vue sur la fenêtre urbaine de la résidence pour étudiants (l’AUC as) ©Hannah Darabi

Façade nord, vue sur la fenêtre urbaine de la résidence pour étudiants (l’AUC as) ©Hannah Darabi

Le bâtiment de l’agence Hondelatte Laporte Architectes adopte la forme d’un U, les 82 logements locatifs se regardent, distribués par des coursives donnant sur un patio bleu intérieur, décorés d’énormes pots de palmiers. En haut, des appartements maisonnettes très agréables, hauts de plafond, cassent le volume.

L’architecte Mia Hägg de l’atelier Habiter Autrement a pu explorer d’autres manières de vivre, avec 42 logements, certains en duplex disposent d’une chambre autonome, propice à la colocation. Le quartier Macdonald prône la mixité sociale et économique. Changement d’ambiance quand on pénètre dans les appartements luxueux en accession réalisés par l’ANMA de Nicolas Michelin (7400 euros du mètre carré) : grands espaces, beaux matériaux. Autre rupture encore avec les bureaux de la BNP conçus par François Leclercq et Marc Mimram. Là, l’échelle de 28 000 m2 crée un cadre de travail en open space, lumineux et dynamique.

Vue des bureaux (François Leclercq & Associés et Marc Mimram architecte). ©11H45

Vue des bureaux (François Leclercq & Associés et Marc Mimram architecte). ©11H45

Il reste à visiter bien d’autres bâtiments de ce patchwork – ceux par exemple de Floris Alkemade, de l’agence néerlandaise OMA, coordinateur et auteur du master plan avec Xaveer de Geyter. Ceux de Christian de Portzamparc, de Brenac & Gonzalez, de Julien De Smedt et d’Odile Decq qui a conçu le Cargo, pépinière d’entreprises. Il faut attendre les commerces, des enseignes standards forcément, qui doivent s’implanter en avril au rez de chaussée de la face nord. On ne sait pas encore comment les habitants et employés trouveront leurs marques.

Un jeune architecte qui réside déjà dans une maison sur le toit du bâtiment d’Hondelatte Laporte se vit comme un “pionnier heureux”. De ses deux terrasses, on se tourne vers le Paris musée du Sacré Cœur, mais aussi vers le futur Palais de justice en construction de Renzo Piano dans la ZAC Clichy-Batignolles. L’aventure Macdonald qui a commencé en 2006 quand la SAS ParisNordEst a racheté cet édifice, reste un feuilleton à suivre. En parcourant au sous-sol le parking (1300 places) entièrement conservé, ressurgit toute la trame, la longueur, la mémoire, l’échelle exceptionnelle de cet ancien entrepôt. Tel un vaisseau fantôme sous-terrain.

Anne-Marie Fèvre

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Du 141 au 211, boulevard Macdonald, 75019. RER E et tram  T3, stations Rosa Park.  

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