Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
“Gouvernement : entre le naufrage et l’accident industriel”, “Le débat sur la déchéance de nationalité est un naufrage”, “le naufrage de François Hollande”, “[François Hollande] s’accroche comme le naufragé qui ne lâche pas sa bouée”, “… une gouvernance qui plombe sa popularité faisant de son mandat un naufrage inédit à gauche”, “Manuel Valls en naufragé du pouvoir”, “le naufrage électoral de la gauche est annoncé pour 2017” : les journaux s’en amusent ou s’en désolent, mais le parti actuellement au pouvoir et ceux qui le dirigent semblent avoir perdu le cap, le navire dérive depuis un bon bout de temps alors que la tempête grossit, le gouvernail est brisé et les voiles déchirées, il navigue à vue dans une purée de poix, une partie de l’équipage s’est mutiné, le capitaine Hollande – pourtant habitué aux bourrasques pluvieuses – ne voit pas plus loin que ses lunettes embuées, les côtes se rapprochent dangereusement, c’est la fin – dirait-on – de ce beau navire, de ce bel équipage, de cette belle traversée.
Sans oublier la baleine, de John Ironmonger (Stock, 2016, traduit de l’anglais par Christine Barbaste), est justement le récit d’un naufrage. Celui d’une grosse baleine. Sur les côtes de la Cornouailles, “aux confins de la terre”. Celui d’un homme, aussi, Joe Haak, trouvé nu échoué sur la plage et qui, lorsqu’il reprend connaissance, est “frappé par un phénomène de dissonance, une distorsion déconcertante du réel”. On imagine François Hollande se réveiller après le désastre de 2017, désarçonné lui aussi. Il pourrait alors, comme l’un des personnages du roman, aller faire un tour sur le bord de mer : “Le plus souvent, à marée basse, il longeait la plage, contemplait les créatures piégées dans les flaques et imaginait l’histoire de leur existence. Qu’il doit être étrange pour un ver, un poisson ou un coquillage, d’être laissé pour compte dans une flaque, songeait-il. À marée haute, on vit en symbiose avec l’immense océan qui ceint la planète. On va et vient à sa guise. […] puis, d’un coup d’un seul, on se retrouve sur le carreau ; la mer s’est retirée et nous voilà en rade dans quelques centimètres d’eau, oubliés au fond d’une marmite…” L’ex-président avec son armée de vers, poissons et coquillages, coincés dans les flaques tiédasses du bord de mer.
Le tableau vous paraît bien noir. Alors lisez donc le roman de John Ironmonger, ou le récit d’un rebond magnifique après un rude naufrage. “Le désespoir pourrait-il être à ce point éphémère ?” s’interroge Joe Haak à peine remis de ses émotions. Et pourtant, “Que lui était-il arrivé ? Une semaine plus tôt à peine (une semaine ! était-ce seulement possible ?), il rectifiait son nœud de cravate et présentait devant son équipe un plan d’action qui n’omettait aucune éventualité, dans lequel chaque risque avait été pallié, chaque heure prise en compte. Et maintenant ?”.
Eh bien, le gars en question opère un virage à 180 degrés : ex-trader repenti de la City, il va reprendre contact avec l’humanité, celle-là même que les colonnes de chiffres et de données immatérielles maniées au quotidien l’avaient amené à oublier. Il redécouvre ce que veut dire parler, échanger avec ses congénères, aimer même, tout en surveillant, “quelque part entre les rochers et l’horizon”, les apparitions régulières de la baleine qui fend les vagues avant de disparaître, “et il ne resta d’elle qu’un souvenir fantomatique à fleur d’eau”, mais, d’évidence, savoir que l’horizon n’est pas désert regonfle le moral. D’aucuns disent qu’il faudrait toujours, lorsqu’on fait de la politique, garder à l’esprit un idéal, un projet de société, une envie d’humanité, même si on se revendique du pragmatisme le plus féroce, en prise avec le réel, le vrai réel, celui des chiffres, hein, qui ne mentent jamais, ce genre de choses. Guetter les apparitions de la baleine, quoi, ou du moins chérir son souvenir.
Dans le roman de John Ironmonger, il flotte comme un doux vent d’idéalisme : les humains y sont indéniablement bons, les romancières y écrivent des romans à l’eau de rose et soutiennent qu’il y a plus de vrai dans la poésie que dans l’histoire, les récits, forcément, finissent pour le mieux comme dans un bon vieux film de Capra, mais quoi, on en sort requinqué, l’impression d’avoir aperçu une baleine moirée à l’horizon, ainsi donc tout n’est pas mort, des êtres majestueux et imposants peuplent encore les perspectives lointaines. À lire dès maintenant, ou à garder sous la main pour 2017, dans votre kit d’urgence anti-gueule de bois. Et bon courage, hein.
Nathalie Peyrebonne
Ordonnances littéraires
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