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J1 – La fontaine de Canathe
| 17 Août 2016

“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.

Le quatrième tome du Grand vocabulaire François (1768) mentionne la fontaine de Canathe, entre Argos et Nauplie au Péloponnèse, où la déesse Junon se baignait une fois l’an afin de recouvrer la virginité. Pour le championnat de France de football, l’intersaison est comme cette fontaine miraculeuse pour l’épouse de Jupiter.

Dans l’ombre de championnats plus fortunés et plus renommés qui attirent sans cesse les nouveaux talents étrangers, la Ligue 1 a pris depuis quelques saisons l’habitude de faire du neuf avec du vieux. On recycle. Voilà qui tombe bien, l’époque est à la chasse au gaspillage. Fini les emballages jetables, les sacs sont désormais réutilisables : les joueurs et les entraîneurs aussi. Crise oblige, les Français se mettent à la récup’ et les présidents de club au système D. Après tout, pourquoi jeter un vieux footballeur qui peut encore servir ? Non à l’obsolescence programmée ! Conséquence : on n’a jamais vu en Ligue 1 autant de joueurs ayant dépassé la date de péremption. Eux-mêmes surfent sur la mode du vintage, et l’on a ainsi vu nombre d’anciennes gloires proposer cet été leurs services à l’Olympique de Marseille : Taye Taiwo (31 ans), Rod Fanni (34 ans), Lucho González (35 ans), Toifilou Maoulida (37 ans) et même Didier Drogba (38 ans). Le charme de l’ancien…

La Ligue 1 prend des airs d’Hollywood : pas pour la piste aux étoiles mais parce que la mode y est aux sequels, aux remakes et aux reboots. On tire au maximum sur les franchises, les morts ressuscitent et c’est Le Retour de la momie en boucle sur tous les terrains. Ce n’est pas pour rien que le dernier Star Wars s’intitule Un Nouvel espoir

Car il n’y a pas que le supporteur soucieux de la planète qui y trouve son compte. Ainsi de la valse des entraîneurs : le recyclage de Gourvennec à Bordeaux, de Kombouaré à Guingamp, de Girard à Nantes ou de Gourcuff à Rennes prouve à chacun qu’on a droit à une deuxième chance dans la vie (voire à une troisième ou une quatrième). Les échecs répétés n’empêchent jamais de tenter le sort ailleurs : c’est l’effet de la fontaine de Canathe, dont les eaux communiquent sans doute avec le fleuve Léthé, qui donne l’oubli. Le vingt-et-unième tome du Grand vocabulaire François (1772) nous apprend que Junon est dite Parthénie, grâce à son bain annuel : “toujours vierge”, malgré ses quatre enfants, elle qu’on associe à la fécondité. Ainsi, des entraîneurs de Ligue 1, qui se refont une virginité chaque été, comme si tout ce petit monde partait en vacances à Mikonos faire du naturisme avec Junon. Oubliés les échecs antérieurs : comme Jupiter bavant devant les charmes renouvelés de son épouse, le supporteur de football se laisse prendre à cette régénération miraculeuse. Après tout, si c’est bon pour un Dieu…

Dans une société obsédée par le jeunisme, une société de la performance et du résultat, la Ligue 1 rassure : le droit à l’erreur existe, l’âge n’est plus une tare. Comme la religion et le recyclage, le football offre une deuxième vie. Si Falcao peut rejouer avec Monaco, si Toivonen peut signer à Toulouse, Gomis à Marseille et Menez à Bordeaux, tous les espoirs sont permis. On efface tout et on recommence. Les compteurs à zéro. Le football, c’est la mise en pratique de la rédemption chrétienne, le grand pardon. L’intersaison, c’est un petit Déluge biblique à l’échelle d’un championnat, un nouveau départ. Et si joueurs et entraîneurs ont droit à leur absolution annuelle, le supporteur se dit qu’il devrait en aller de même pour lui, à qui son patron, son percepteur et sa femme ne pardonnent pourtant jamais rien.

Pour autant, le Grand vocabulaire François met en garde contre l’erreur du Dictionnaire universel français et latin (1704), dit Dictionnaire de Trévoux : “Junon s’y baignoit une fois tous les ans, pour redevenir vierge, mais non pour recouvrer ƒa divinité, comme dit le dictionnaire de Trévoux, ƒans ƒonger qu’on ne recouvre que ce qu’on a perdu, & qu’une déeƒƒe ne pouvoit pas perdre sa divinité ƒans cesser d’être déeƒƒe”. L’avertissement est clair : la virginité recouvrée a tout de la reconstruction d’hymen, et la chirurgie esthétique du cautère sur une jambe de bois. Il y a une limite aux miracles. Dans la fontaine de la Ligue 1, on ne devient un Dieu qu’à une condition : l’être déjà. Or, ces temps-ci, l’Olympe français est plutôt dépeuplé…

Sébastien Rutés
Footbologies

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