Le genre idéal est noir. Comme un polar, un thriller, une enquête judiciaire ou un roman naturaliste. Et c’est de l’humain, de la tragédie grecque, du meurtre, en série, passionnel, accidentel, d’État, ordinaire parfois.
Dans une ville harcelée par ses démons, cernée par le soupçon, la médisance, l’ignorance, la division et les peurs où les devins n’interprètent pas encore les sondages mais les oracles de la Pythie, dans une époque troublée où les médiocres servent les puissants qui se servent eux-mêmes, les portes se sont multipliées pour fermer, comme autant d’anneaux de défiance et d’envie, les murs de la cité, puis ceux de la basse ville pour le peuple, des faubourgs pour les marchands, de la citadelle pour les nantis et plus haut encore, sur l’acropole, celles majestueuses du palais royal qui écrasent le reste, dans cette ville donc à l’ennemi commode, monstrueux et fantasmé, invisible, qui mange les enfants loin là bas du côté des barbares, arrive un homme, enfin, qui donne des réponses.
Il est venu de nulle part, parle peu et le pouvoir est vide, faute de meneurs ayant une vision. Le roi vient d’être assassiné sans que personne vraiment ne cherche la vérité, comme un ultime renoncement. L’ennemi est diffus, il est partout, personne ne l’a vu, il est le frère et le voisin. L’inconnu arrive de Delphes. Il n’a pas traversé la Méditerranée, mais il va ouvrir la seule porte qui semblait à jamais condamnée : celle de l’espérance. Les citoyens, terrés dans une angoisse monotone, voués à la paralysie par les recroquevillements, apprennent que l’étranger a accepté, comme prix de l’hospitalité, d’affronter le monstre faisant régner la terreur sur la cité en se nourrissant de la chair des hommes.
Enfin, quelqu’un pour le faire. La fin du règne des bavards. Où allait-il seul ainsi et pour quel ennemi ? Triompher de l’obscur et des basses manœuvres ? Parti au combat avec sa musculature de poète, l’étranger aux pieds sales ne pouvait savoir que la récompense était le trône du roi défunt et le lit de la reine. Il revint et l’affirma : “La cause de vos tourments n’est plus.” Pas un mot de trop. Le Sphinx était mort. L’inconnu était l’avenir et il ouvrit les cœurs. Il avait vengé le roi. Personne ne sut d’où il venait, il ne parla jamais de lui et le pouvoir lui fut donné. Volonté populaire et besoin d’être heureux contre tactiques des Anciens. La reine veuve lui est donnée qui jamais ne retira son voile avant qu’elle ne s’empare de son cœur. Un à un furent repris les fils de la tapisserie tissant le bonheur et l’unité. La reine, en dépit de son âge, enfanta quatre fois. Pendant près de dix ans, sous la conduite de ce nouveau roi chéri, apporteur de richesses et de paix, la cité respira. Dix ans. Avant que ne reviennent les orages de grêles, les sécheresses et la maladie.
Cet homme, c’est Œdipe. Il est le meneur qui fédère. Il est aussi celui qui, sans le savoir, apporte la tragédie et révèle par sa seule existence, les turpitudes tragiques des hommes qui toujours les rattrapent. Cette histoire universelle n’est pas estampillée chef d’œuvre pour rien : elle est la tragédie classique à la modernité sans faille, mère du roman noir.
Ce mythe, Didier Lamaison, se l’est approprié en en faisant, sur la forme du roman policier, une nouvelle création à part entière. Cette version en prose marie la tragédie de Sophocle et le polar. Elle est accompagnée, dans la collection Folio Policier, de la pièce de théâtre originale présentée dans une nouvelle traduction faite par Didier Lamaison lui-même. Le premier texte permet de revisiter le second et les deux revendiquent l’éternité de la littérature. Idéal pour les scolaires en panne du désir de lire. Tout y est : un coup de maître.
Lionel Besnier
Le genre idéal
Didier Lamaison-Sophocle, Œdipe Roi, Folio Policier, 2006
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