« J’y ai réfléchi et je crois que ce que je préfère dans le monde entier, c’est de faire quelque chose que je crois juste et bon », déclare en toute simplicité la narratrice du roman de Stéphanie Boulay, À l’abri des hommes et des choses (éditions de l’observatoire, 2023).
Il se trouve qu’on l’entend beaucoup, en ce moment, cette affirmation, sous des modalités diverses, à la radio, dans les journaux, à la télé.
Le projet de réforme des retraites est, je vous le rappelle, « juste et bon » et « facteur de progrès social », un simple « problème d’équité, d’égalité ».
Bien sûr la réalité est un peu différente. Par ailleurs, soyons honnête, il n’est absolument pas question de retraite dans le roman de Stéphanie Boulay. Mais c’est cette phrase, dans un premier temps, qui m’a menée de l’un à l’autre.
Ce livre, c’est l’histoire d’une gamine au « cœur gros beaucoup cassé », qui se raconte dans une langue chatoyante, parce qu’elle est québécoise mais pas seulement. Elle vit avec Titi: « À l’école, on me demande : c’est qui ta mère, c’est qui ton père. Moi je n’en sais rien, j’ai Titi et c’est à peu près tout. Je ne lui ai jamais demandé ce qu’elle était, je suis trop gênée, et puis c’est une drôle de question à poser, je trouve ». « …le truc, c’est que nous n’avons pas d’homme à la maison, contrairement aux coutumes ».
Titi, parfois, ne « répond plus à ses tristesses », alors la gamine lui écrit « une lettre d’affection » et elle pleure « des larmes à terre avec des vrais bruits de gouttes ».
Faut dire, Titi a souvent des coups de mou (« Elle était revenue dans sa peau, dans sa prison de peau, dont elle ne veut pas sortir souvent »), alors depuis toute petite, celle qui nous raconte son histoire a appris à « fabriquer des aliments, pour nous nourrir nous deux, pour pas qu’on meure de famine ou de misère ».
Et ce peut être ardu : « ça n’est pas facile d’être à l’intérieur de moi, et des fois je préfèrerais plutôt être à côté pour pouvoir me sauver en criant ».
Mais elle a des moments de rage, oui, de rage. Comme lorsqu’elle envisage d’attraper ce type, là, et « lui arracher toute sa fourrure pour [s]’en faire un gilet de fierté ».
Un gilet de fierté.
Il y a là toute la saveur de la langue colorée qui irrigue ce roman étonnant, détonnant, voire déroutant. Et sans doute aussi une image dont on pourrait bien se saisir.
Un gilet de fierté.
Contre le froid, contre les tristesses, contre les pseudos « facteurs de progrès social », contre la vie qui passe trop vite lorsque l’on travaille dur et que l’on vieillit et que l’on perd la santé, contre ce qui s’évertue à nous boucher l’horizon et peut-être même nous empêche de recevoir des « lettres d’affection ».
Un gilet de fierté.
0 commentaires