Réseaux sociaux, blogs, téléphones mobiles… Je scrute nos couacs relationnels, nos dérives de comportements, nos tics de langage – toutes ces choses qui font que, parfois, je préfère me taire.
Naissance d’un bébé panda, mariage d’un prince et d’une roturière, mort d’un écrivain légendaire… Tel pourrait être la valse-résumé rythmant une bonne semaine de buzz sur les réseaux. Comme jadis dans la presse, une hiérarchie des sujets existe dans le monde digital. Chapeautant une foultitude d’intérêts « de niche », certaines actualités sont de fait partagées et commentées quel que soit notre microcosme numérique.
Shoo peasants…. #RoyalWedding pic.twitter.com/Bl5RIBA3JO
— Sissyone (@Sissyone_) 19 mai 2018
On les parcourt, en ricanant, en grognant. On y perd gentiment son temps comme jadis avec les magazines dans les salles d’attente.
Mais c’est autre chose quand le sujet nous concerne. Ou quand, du moins, il fait partie de ces gens et thématiques qu’on revendique comme élément de son bagage culturel – ou éthique, politique. C’est ainsi que j’apprenais la nouvelle suivante : le comédien Jet Li, atteint d’un trouble thyroïdien, ne serait plus, à 55 ans, le héros qu’on reconnaissait.
Comme des millions d’internautes, je n’en croyais pas mes yeux. Comment Jet Li, légendaire incarnation de Wong Fei Hung dans la série Il était une fois en Chine (pour partie de Tsui Hark), spectaculaire « maître d’arme » jusqu’en 2017 dans Gong Shou Dao,comment l’as du wuchu pouvait-il être ce vieillard frêle ?
Fake ! clamèrent certains – et je menais l’enquête : il s’agissait bien du « Hero » post-Bruce Lee. Harry pouvait bien épouser Sally ou la mère Panda : Jet Li était quasi chauve, maigrelet, et à la façon dont il se tenait, il ressemblait à mon grand-père quand on devait l’aider à aller de son fauteuil à son lit.
Bête boulimique
Mais les réseaux sont (aussi) pleins de ressources. Et ce sont les commentaires en pied d’un article du WashingtonPostrelatant le buzz, qui assurèrent ma reconnection avec le bon sens. « Eh les gens, c’est ce qu’on appelle vieillir » (Eric Ervin) ; « Oh mon dieu, ses cheveux grisonnent, il doit être en train de mourir… » (Gore Hound). Avec raison, on y rappelait notre mortalité à tous – figures d’Hollywood comprises. On évoquait une quasi-injonction généralisée à ne pas vieillir. On appelait à ne pas juger sur une unique photo…
Internet adore les cris, les réseaux s’en nourrissent. Une bête boulimique bâfrant du pathos et de la surenchère. Cette photo de Li n’est pas un fake. Et peut-être le maître a-t-il été photographié sous une mauvaise lumière, peut-être avait-il une gastro, peut-être n’avait-il pas dormi de la nuit à cause d’un moustique ou parce qu’il avait envie de casser les dents à l’auteur d’un post idiot sur sa personne…
De cet épisode, je retiens trois mantras :
- d’une photo unique tu ne t’émouvras pas ;
- de tes sujets « de cœur » tu te méfieras ;
- de l’instantanéité tu t’éloigneras.
À répéter en boucle devant le fabuleux premier tableau de Hero (2002), de Zhang Yimou.
Stéphanie Estournet
Je me tais et je vais vous dire pourquoi
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