Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.
Sarcelles, extérieur jour. Sur le parking d’un hypermarché, deux hommes sont assis sur les sièges avant d’une Ford Fiesta rouge. L’un d’eux roule un tarpé surdimensionné. Lent travelling avant vers les deux passagers.
L’UN (enlevant subitement de ses lèvres le pétard qu’il était sur le point d’allumer).– Eh, je la vois maintenant ! Ça se rapproche vite, dis donc.
L’AUTRE.– Où ça ? Tu vois ça où ?
L’UN (tendant le bras) : Là-bas, juste au-dessus du gros bac à ordures. Tu vois ?
L’AUTRE.– Ah ouais, ça y est ! (un temps) Ben j’imaginais pas du tout les choses comme ça. Je voyais quelque chose de plus spectaculaire, de plus, comment dire…
L’UN.– De plus coloré ?
L’AUTRE.– Oui, de plus coloré, comme tu dis mon gars.
L’UN.– Genre ?
L’AUTRE.– Genre une lumière intense, rouge ou verte, ou bleue, je ne sais pas. Enfin quelque chose qui ait de la gueule, quoi.
L’UN.– Blanc, c’est pas mal non plus.
L’un allume le pétard, avale un mètre cube de fumée, tousse, tend le joint à l’autre et se met à fixer, à travers un pare-brise assez sale, la lumière au loin.
L’AUTRE.– Regarde pas trop fixement, tu pourrais te bousiller les yeux. C’est comme dans les éclipses, tu sais.
L’UN.– On s’en fout de nos yeux maintenant, non ?
L’AUTRE.– Pas moi, je voudrais voir la suite. Y aura pas de redif.
L’UN.– Mais on la connaît, la suite.
L’AUTRE.– En tout cas, ça ressemble pas du tout aux images de synthèse qu’ils montraient à la téloche. Je vais te dire, je suis un peu déçu. On aura tout raté jusqu’à la fin, non ?
L’UN.– Je préférerais être au Kentucky.
L’AUTRE.– Quoi ?
L’UN.– Quand la fin du monde arrivera, je veux être au Kentucky, ils ont toujours vingt ans de retard là-bas. C’est du Mark Twain.
L’AUTRE.– Haha.
L’UN.– Et celle du nain qui trouve un éléphant dans son frigo, tu la connais ?
L’AUTRE.– Je préférerais mourir sans la connaître.
L’UN.– Que tes vœux soient exaucés, mon fils.
Les deux hommes se taisent. Le pétard se consume. La lumière est de plus en plus vive.
L’AUTRE.– Tu pourrais pas ouvrir les glaces, on crève de chaud ici.
L’UN.– La commande électrique est pétée.
L’autre entrouvre sa portière.
L’AUTRE.– Putain, ça sent vachement le cramé dehors.
Il referme la portière.
L’AUTRE.– C’est quoi comme produit dans ton missile ? Je suis raide de chez raide.
L’UN.– Du truc à Milou, de l’afghan. Il m’a filé tout ce qu’il lui restait. Gratos en plus.
L’AUTRE.– C’est le genre de choses qui te fait comprendre que la fin est proche.
L’UN.– Je trouve pas ça si fort que ça, moi. J’en roule un autre ?
L’AUTRE.– Non, je veux dire que quand un mec comme Milou commence à distribuer gratos, c’est que tout se barre en couilles.
L’UN.– De toute façon, plus rien n’a de sens. (Son regard tombe sur le cendrier plein) Dans le fond, rien n’a jamais eu de sens.
L’AUTRE.– Ah bravo la philo à deux balles ! Tu en as d’autres des comme ça ?
L’UN.– Autant que tu veux. (Il réfléchit) Tiens, écoute celle-là : Dieu, en créant l’homme, a quelque peu surestimé ses capacités. C’est d’Oscar Wilde, si tu veux savoir.
L’AUTRE.– Tu m’emmerdes, c’est pas le moment. Mets plutôt de la musique.
L’un allume l’autoradio. Les Stones. It’s All Over Now. L’autre se met à chantonner.
L’AUTRE.– beute itse ol oveur nao…
L’UN.– Bordel, on vit quand même un moment pas banal !
L’AUTRE.– Ben profites-en tant que ça dure, et lâche-nous avec tes…
Subitement une gigantesque explosion raye Sarcelles de la carte, ainsi que le reste de la planète.
FIN
Well, baby used to stay out all night long
She made me cry, she done me wrong
She hurt my eyes open, that’s no lie
Tables turn and now her turn to cry
Because I used to love her, but it’s all over now
Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde
Si vous avez aimé cet article, vous pouvez
soutenir délibéré en cliquant ici !
0 commentaires