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La photographe américaine Terri Weifenbach vient de publier aux éditions Xavier Barral un ouvrage somptueux dans la collection « Des oiseaux ».
Des photographies prises au fil des saisons entre 2015 et 2018 dans le jardin de sa maison, à Washington D.C., montrant une nature familière, humble, qui pourtant s’ouvre sous son objectif à une dimension inconnue et troublante.
Des oiseaux, donc, moineaux, mésanges et autres pinsons, saisis en plein vol, qui se livrent à des ballets étourdissants jusqu’à presque disparaître dans le mouvement qui les anime. Par moments, ils en viennent à ne plus se distinguer du végétal, arbres, buissons, feuilles ou herbes qui constituent leur habitat, au point qu’on se demande s’ils sont bien là. Et nous voilà scrutant l’image, essayant de la déchiffrer comme un rébus. Ou alors on est saisi par l’admirable déploiement des ailes, d’une netteté presque surréelle, et le fin tracé des pattes, qui procurent une singulière émotion – révélation soudaine de la beauté, de la forme pure au sein du chaos.
D’autres oiseaux, au contraire, sont surpris dans leur immobilité, posés sur une branche fine ou dans la neige, tel ce cardinal rouge portant une graine dans son bec. Et c’est un instant de paix suprême, de lenteur et de calme revenus, comme si refaisait alors surface une temporalité oubliée, enfouie sous la frénésie du quotidien. Le regard, tout à coup, peut se (re)poser.
Le jardin lui-même devient une symphonie de couleurs, de taches sombres ou lumineuses, de lignes et de courbes, tantôt floues, tantôt d’une netteté implacable. Tout est contraste et harmonie, tension et repos. Une sorte d’épiphanie du visible, de celle que l’on trouve à sa porte pour peu que l’on sache regarder.
La virtuosité de Terri Weifenbach n’est jamais gratuite. On sent chez elle une intense curiosité visuelle, une attention extrême aux effets, aux changements, aux mouvances. Elle se livre à des variations indéfiniment répétées sur le flou et le net, la forme et la dissolution, le chatoiement des couleurs et des lumières… Comme s’il s’agissait de capturer une essence, qui fondamentalement échappe.
Il est des photographes dont on aime le regard. Terri Weifenbach en fait partie. Parce qu’elle possède la qualité singulière d’animer ce qu’elle voit et ce qu’elle nous montre. D’y faire surgir une pointe d’étrangeté. Une tension imperceptible vers un ailleurs, un « autrement », un « différemment ». Et ce faisant, elle nous touche au cœur.
Corinna Gepner
Guide
Terri Weifenbach, Des oiseaux, éditions Xavier Barral, Paris, 2019.
Et pour prolonger le plaisir : Terri Weifenbach, Rinko Kawauchi, Gift, éditions Amana, 2014.
La collection « Des oiseaux » a également accueilli les photographes Yoshinori Mizutani, Bernard Plossu et Pentti Sammallahti. Les ouvrages, d’une exceptionnelle qualité esthétique, sont accompagnés de textes passionnants, joyeusement érudits, de Guilhem Lesaffre, spécialiste des oiseaux.
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