Il y a dix-sept ans, Geneviève Brisac publiait un livre, La Marche du cavalier, pour « faire entendre – écrit-elle – plus haut, plus fort, et mieux, les voix d’écrivaines, mes aînées, grâce à qui il m’avait été possible de tracer mon chemin de livres. Des femmes comme les autres, et un peu différentes aussi». Aujourd’hui, elle reprend l’ouvrage. Pourtant, « on dit que tout a changé. On dit que l’heure et le temps des femmes sont arrivés ».
Il n’empêche, on sent comme un léger doute. Et Geneviève Brisac est têtue.
C’est qu’il « faut, pour décider de devenir écrivaine, un entêtement aussi grand qu’est menaçante la fêlure d’où sourdent cette possibilité et ce désir […] il faut surtout cette confiance en soi, cet investissement passionné et exclusif dans son propre destin qui fait historiquement défaut aux femmes artistes… ».
Pour comprendre ce que cela veut dire, il faut s’aventurer dans la série de textes qui constitue ce recueil, balades enlevées, souvent drôles et insolentes dans les pages écrites, déjà, envers et malgré tout, par des consœurs écrivaines.
Tout commence pourtant avec un homme. Célèbre. Respecté. Vladimir Nabokov. Par ses remarques profondément misogynes racontées d’une façon, disons-le, hilarante. Le grand homme se fait tirer l’oreille pour relire Jane Austen, préfèrerait se pencher sur Robert Louis Stevenson. Mais enfin, puisqu’on insiste, il s’y met. Et, miracle, « il est bluffé ». Mais il faut voir avec quels mots il rend hommage à l’écrivaine. Rions. Ne ratez pas ces pages magnifiques.
Au passage, dans ces textes où il est certes question de femmes, il est d’abord et avant tout question d’écriture. Du roman, notamment, qui « est une tentative pour mettre en rapport mille objets humains, il est nécessaire de le faire en étant parfaitement sincère avec soi-même. Cela oblige à résister à la fois à l’opinion hostile et au système de valeurs dominant ». Et « il faut beaucoup de force pour ne pas être découragée ». Tant de femmes renoncent, nous dit Geneviève Brisac, quand tant d’hommes persévèrent. « À talent égal, je ne connais point d’homme qui ne s’acharne, qui n’invective le monde, qui ne se batte pour se faire une place, courtisan ou méchant homme, prêt à tout. »
Parfois, tout de même, elles s’obstinent. Mais, bien souvent, avec quelle discrétion. « J’ai entendu cela souvent de la part d’écrivains qui ne souhaitaient pas qu’on décernât trop de lauriers à une consœur : Elle est si discrète. Ça la gênerait. Les écrivaines discrètes, les poètes modestes, avant qu’on ne fasse disparaître pour de bon leurs mots, leurs phrases, leurs livres, sont adulées par leurs pairs. »
Le livre est ponctué d’anecdotes. À propos de Christiane Rochefort, par exemple, elle rapporte cette histoire : « Je montrai à l’homme que j’aimais un roman que j’avais écrit, il le lut et me répondit ma pauvre fille, tu ferais mieux de raccommoder des chaussettes. Je traduisis que je n’avais pas de talent, note-t-elle, et le goût de vivre me quitta. Il fallut que mon amour se dissipe pour décoder correctement la phrase : tu ferais mieux de raccommoder MES chaussettes. »
Et voilà, une bête erreur de traduction.
Mais les temps ont changé, réjouissons-nous, et les traducteurs automatiques, paraît-il, font maintenant des miracles…
Nathalie Peyrebonne
Livres
Geneviève Brisac, Sisyphe est une femme. La marche du cavalier, Éditions de l’Olivier, octobre 2019, 17 €
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