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Au début, elle écrit : « Pourquoi les belles choses coûtent-elles cher et pas les moches ?… Ces trente dernières années, j’ai observé avec inquiétude la disparition progressive de la beauté. Je crois que la beauté a quelque chose à voir avec la liberté. »
Au début, lui écrit : « Il y a cinquante ans, on avait vingt ans et nous ne parlions pas de design, encore moins de designers, et pourtant l’on accueillait joyeusement les objets qui semblaient nous offrir un décor neuf pour une vie nouvelle. »
Elle, c’est Martine Bedin, née en 1957 à Bordeaux, designer, architecte et enseignante, qui a participé activement au mouvement Memphis, mené à Milan par Ettore Sottsass en 1981. Lui, c’est Claude Eveno, né en 1945, cinéaste, urbaniste, écrivain, enseignant et promeneur. Ils se sont rencontrés en 2000, ont beaucoup correspondu. Ils ont décidé d’œuvrer ensemble à un livre à quatre yeux, à deux cœurs. Au fil de leur amitié, à travers textes et lettres, ils retracent leurs souvenirs respectifs, leurs initiations croisées, leurs constats actuels. Se répondent leurs relations aux lieux, à l’espace, aux voyages, aux maisons, à l’art, à l’architecture, à la photographie… Au design finalement, dans Objets, nos amis. Une conversation, un livre où ils dressent un état du monde des choses subjectif, joyeux et désenchanté.
Il y a des histoires d’enfances, des réminiscences de pinces à linge et de copeaux d’acier, de vases « qui faisaient penser au cinéma de Visconti » ou qui deviennent un bouquet. Pour lui, l’espoir (perdu) que « les choses pouvaient se mêler aux idées » avec le Bauhaus, finalement « devenu le design pour tous, produit par Ikea ». Pour elle, il y eut la bande de Memphis, une histoire « d’objets qui, tels des virus, s’infiltraient dans les intérieurs bourgeois bien assortis, pour en rendre malade l’ordre domestique ».
L’échange se prolonge, entre Bordeaux et Florence, entre l’Andalousie et Tel Aviv, autour d’une Casazul, de citrons, d’un observatoire des objets, de l’enseignement, de la transmission. Lui finit par dire : « Il y a eu trop de choses, le défilé sans fin des choses me donne la nausée. » Dans une « mélancolie détendue », en quête d’un effacement apaisé. Funèbre peut-être ?
Elle constate : « Chaque projet nous fait prendre conscience de la disparition d’un morceau de ville avec l’impossibilité de lui substituer du meilleur. » Mais elle aura le dernier mot : « Les choses sont en ordre maintenant, je peux reprendre mes crayons, et poursuivre mon chemin. » Lueur vacillante ?
Anne-Marie Fèvre
Guide
Objets, nos amis. Une conversation, Martine Bedin et Claude Eveno, éditions éoliennes, 17 €.
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