“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
N’importe quel apprenti scénariste le sait : pour écrire une bonne histoire, il faut un bon méchant. Attribuée parfois à Alfred Hitchcock, la sentence vaut-elle pour le football ? La dramaturgie de l’actuelle saison de Ligue 1 réunit toutes les conditions pour le savoir, tant le méchant n’a jamais été aussi fort… ni aussi méchant. Au vu des treize points d’avance du Paris Saint-Germain sur son premier poursuivant, de ses treize victoires en quinze matchs pour aucune défaite, de ses trente-sept buts marqués, la première de ces affirmations ne se discute pas ; quant à la seconde, le statut de club le plus détesté de France selon les sondages suffirait à la justifier, si Michel, l’entraîneur du rival marseillais, n’avait récemment imaginé une métaphore plus parlante : cette saison, le PSG est un requin au milieu des dauphins !
Bien avant de régner sans partage sur le championnat de France, le PSG suscitait les animosités. Club de la capitale dans un pays qui vit mal son excès de centralisation, né tard et riche sous les paillettes du show-business, il faisait figure de parvenu, d’enfant gâté. La violence de ses ultras n’arrangeait rien. Le pays réel ne s’y reconnaissait pas, on l’associait aux frasques de ses supporters VIP, animateurs télé cocaïnés et hommes politiques en détresse médiatique.
Avec les bons résultats vint la jalousie. On accuse le PSG de faire perdre son intérêt à la Ligue 1, de tuer le suspense. Ses prétentions européennes et un soupçon de mépris pour le championnat domestique accréditent les clichés. L’arrogance dont on le taxait souvent à tort, sur la base d’un anti-parisianisme bien français, a fini par s’incarner dans Zlatan, tandis qu’un ancien président de la République auto-proclamé premier supporter exhibe son impopularité et sa Rolex dans la tribune présidentielle du Parc des Princes.
Et pour couronner le tout, il y a le Qatar. On ne parle plus seulement de sport mais de politique, d’économie, d’idéologie. Là, le méchant entre dans une autre dimension. C’est le super-vilain des films de super-héros, le boss de fin de niveau des jeux vidéo, l’archi-ennemi pour donner dans l’anglicisme : le grand méchant loup, l’ennemi juré, le mal absolu. Les joueurs du PSG n’y sont pour rien, le football non plus, mais l’ombre du Qatar et de ceux qu’il a financés plane sur la Ligue 1, et dans le contexte actuel, alors qu’on questionne les liens diplomatiques de la France avec les monarchies du Golfe, l’image du PSG ne peut pas ne pas en être affectée.
Pour toutes ces raisons – et pour revenir au sport –, le méchant de Ligue 1 n’a jamais été aussi méchant, symboliquement parlant. Il n’y a pas à s’en réjouir, c’est ainsi. Pour l’heure, il écrase le championnat, il fait régner sa loi, rarement une équipe a-t-elle concentré autant de talents sur les pelouses françaises. Troyes en a fait les frais (4-1) ce week-end, deux semaines après Toulouse (5-0). Mais dans une bonne histoire, le méchant finit toujours par faire se lever les gentils, des héros, et pour la prochaine journée, le PSG affronte Angers, le promu, qui partage le podium. Toutes les conditions dramaturgiques sont donc réunies, l’avenir dira ce que vaut le scénario de la Ligue 1 cette saison…
Sébastien Rutés
Footbologies
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