On colore les cimetières de chrysanthèmes On célèbre la seule armistice le dépôt pour de bon des armes c’est la mort On les envie un peu les reposés de n’avoir plus mal au ventre plus peur On astique le marbre comme on fait la tôle habituellement le dimanche La tombe est le véhicule des défunts On se demande vaguement où ça les mène On leur a payé la voiture et le permis d’inhumer et depuis lors pas de nouvelles pas une ligne pas un coup de fil ou alors des bêtises des pitreries parfois de mauvaises blagues qui font peur la nuit dans les songes ou abandonnent au matin l’âme dans le clapotis de la tristesse On leur en veut
On se dit qu’on fera pareil laisser son cadavre aux suivants qu’ils en aient plein les bras et que ça leur presse les organes jusqu’aux yeux On se figure sa bière voguant sur un torrent de larmes de sang et même oui pourquoi pas la terre entière incapable d’endurer une telle perte se précipitant allez du haut de la falaise de sa douleur dans l’abîme amer comme jadis on l’appelait Mais le temps n’est pas venu de l’apocalypse il n’y aura peut-être pas grand monde à l’enterrement il paraît qu’à celui de Mozart non plus et pour l’instant on jardine la couverture des trépassés On en arrache les mauvaises herbes plus aisément que les mauvaises pensées On rêve on rumine on ne sait pas très bien la différence
On a mal au dos d’être courbé sur les morts On se réjouit des moules de la bière et des frites dont on remplira tout le creux qu’on soupçonne sous le bric-à-brac de fausses fleurs et de couronnes en porcelaine du visage des disparus On enverra par le fond des entrailles étouffer sous la mangeaille la certitude acide qu’il ne reste rien du roman que les noms de ses personnages aux pages humides des cimetières d’Occident On échange quelques mots sur la brume qui descend jusque dans les os du patrimoine génétique On dit qu’on pourrait voir ce qui se joue au cinéma cet après-midi une comédie ce serait bien après le déjeuner On irait à pied pour digérer Mais les cinémas sont fermés
On fait comme si la vie avait la légèreté d’un bouillon de légumes et que l’été suivait l’hiver On termine de manger ses morts du bout des doigts rougis de froid les ongles endeuillés On se redresse on compte les vivants debout courbés ou à genoux entre les tombes Comment surgit l’image que ce sont des vers dans la très grande bibliothèque des morts On s’en va sans trop savoir quoi espérer
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