Les mots de notre quotidien, anodins ou loufoques, parfois nous font de loin un petit clin d’œil, pour nous inviter à aller y voir de plus près. Mot à mot, une chronique pour suivre à la trace nos mots et leurs pérégrinations imaginaires.
Covipare : adj. et nom masc. : se dit des animaux qui pondent pendant le covid. (Oui, je dis le Covid, je m’en expliquerai une autre fois. Peut-être.)
L’espèce humaine, à mon humble avis, est covipare.
L’espèce humaine, quand on la prive de tout, d’espaces publics, d’espaces de création, de sociabilité, de mobilité, d’air, l’espèce humaine, donc, mute. En bon virus, elle mute, elle s’adapte, et elle pond. C’est une façon de se multiplier comme une autre, il faut bien vivre, n’est-ce pas, vivre et se reproduire, continuer, continuer d’exister, en sachant qu’à l’arrivée, c’est là que se trouve le merveilleux de l’histoire, il en sort autre chose. Je veux dire, on ne se pond jamais à l’identique, on ne se clone pas, ça, c’est bon pour la machine, pour la science et la technologie, non, lorsqu’on est humain, on se crée.
Et que pond-elle donc, cette humanité covipare ? Oh, un peu de tout : elle commence d’abord par pondre des masques : la voici qui taille, qui épingle, qui faufile et qui coud, qui coud, qui coud, oui, des masques de toutes les couleurs, recyclant de vieilles taies d’oreiller et des coupons de tissu oubliés. Puis elle se met à cuisiner, pour les infirmiers et les infirmières, les docteurs et les doctoresses, elle pâtisse, elle cuit, pour sa famille, pour ses voisins, des tartes, des gâteaux, des brioches… Et voilà qu’elle entreprend ensuite de bêcher, de sarcler, de défricher, elle composte, elle sème, elle plante, elle greffe, elle bouture… Elle épluche aussi, frise de frénésie, elle râpe, elle tranche, elle gratine, elle malaxe, étale, sucre, garnit, enfourne, saupoudre… en un mot comme en mille elle déguste. Oh oui, elle déguste, mais, chemin faisant, elle fait, elle invente : elle pond.
Peut-être, me direz-vous, est-ce parce que toute cette folle activité a débuté, si je ne m’abuse, à l’approche de Pâques ?
Pas du tout, car l’humanité tient la distance, Pâques est passée, et la Trinité, et Noël encore, et l’humanité continue de pondre. Et, voyez-vous, elle peut pondre aussi des choses plus éthérées : elle peut pondre des gestes et des mouvements, des pas, des émotions, ça s’appelle la danse. Elle peut pondre des coups, des claquements, des pincements et des caresses, ça s’appelle la musique. Elle peut pondre tellement de soi : un soi — c’est la loi de la nature — qui lui échappe toujours un peu, qui pourra éclore ou pas, grandir ou pas, demeurer, s’unir à d’autres, qui sait — c’est la loi de l’évolution.
Elle peut enfin pondre des mots.
Connaissez-vous cette tradition, en vogue dans de nombreux pays, France, Allemagne, Angleterre, Espagne, d’autres encore, qui désigne, vers les mois de décembre ou de janvier, le MOT DE L’ANNÉE ? Le choix revient souvent à des Académies ou des Institutions plus ou moins savantes, mais parfois aussi à un public plus large, lecteurs, internautes, ou simplement curieux. L’année passée, 2020 donc, année à Covid, le dictionnaire Le Robert, en union avec l’Oulipo, a ainsi fait appel aux esprits inventifs, aux ovipares de tout poil, les invitant à proposer un mot-valise de leur cru : il viendrait prétendre au titre de mot de l’année, puis conformer par la suite, avec ses compagnons, une sorte de dictionnaire du Covid, un bien nommé Dicovid.
Et, mes amis, quelle couvée !
Les internautes en ont pondu des mots nouveaux !
On trouve des perles, des lapsus et des coquilles, des petits œufs de caille tout mouchetés de dérision, des œufs blancs d’oie grasse, rondelets et savoureux, des œufs géants de dinosaures qui ouvrent sur un monde bien étrange…
Ils en ont pondu des mots-valises, des mots greffés ou bouturés, salés, poivrés, des mots effilochés et rapiécés, cousus d’humour ou d’amertume, de drôlerie ou de ras-le bol !
Je ne me priverai pas, pour finir, du plaisir de vous faire partager quelques unes de ces trouvailles.
Dyscovie : récit surréaliste décrivant un monde réel
Avoir la blouse : mal être des soignants
Cobide : quand un couple a pris du poids ensemble pendant le confinement
Et vous ? Avez-vous vous aussi la sensation de vivre, parfois dans une singulière dyscovie ?
N’avez-vous pas la blouse à vos heures ?
Et n’êtes-vous pas tentés, comme tout un chacun, de la soigner par un bon vieux cobide solidaire ?
Ah que ça fait du bien ! Ça oxygène, ça circule, ça déconfine !
Oui, oui, soyons tous covipares !
Jacqueline Phocas Sabbah
Mot à mot
0 commentaires