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Accident voyageur
| 29 Nov 2020
Les mots de notre quotidien, anodins ou loufoques, parfois nous font de loin un petit clin d’œil, pour nous inviter à aller y voir de plus près. Mot à mot, une chronique pour suivre à la trace nos mots et leurs pérégrinations imaginaires.

Métropolitain

Dans le jargon du métro parisien, il est une formule que j’exècre entre toutes, c’est l’Accident voyageur. Bel exemple de langue de bois.

La langue de bois a ceci de paradoxal qu’elle est à la fois rigide – normal, c’est du bois – et serpentine : elle zigzague entre les mots, louvoie, et ne va jamais droit au but. Elle n’appelle pas un chat un chat, comme on dit. Eh oui, c’est justement sa fonction : ne pas dire les choses comme elles sont.

L’accident voyageur, neuf fois sur dix, veut dire suicide. Personne ne le dit mais tout le monde a compris. Et tout le monde baisse la tête. C’est là une des vertus de la langue de bois, aussi : faire baisser la tête. Tu me dis pas tout ? Ça tombe bien, je veux pas savoir. En bon français, on appelle ça lâcheté.

Quoique, certains, ça a plutôt comme effet de les énerver. Parce que là, c’est clair, ils seront en retard au boulot. Va falloir changer de station, on ferme la ligne. Ils vont faire comment pour leur changement, bordel, et comment je rattrape la 3 pour Saint Lazare maintenant, moi ? Je travaille moi, hein, j’ai pas que ça à foutre.

C’est peut-être pour ça qu’on ne leur dit pas, ils sont déjà assez déprimés comme ça, assez stressés, au bout du rouleau, à vrai dire. Alors, leur rappeler qu’ils sont tous des suicidés en puissance… c’est pas joyeux quand même…

Et puis, ça serait un peu brut de décoffrage : Suite à un suicide Porte des Lilas

Alors, on leur dit :

Suite à un accident voyageur à la station Porte des Lilas, le trafic est fortement perturbé sur la ligne 11. Nous invitons les voyageurs à emprunter les correspondances. Nous nous excusons pour la gêne occasionnée.

Mais je suis sûre qu’on pourrait trouver des formules qui n’écorcheraient l’oreille de personne et feraient, de plus, mieux passer la pilule. La rime, par exemple.

Ah la la ! si nous pouvions nous parler en rimant…Ce serait tellement plus doux à l’oreille. Qu’on imagine un peu tout ce jargon, et pas seulement celui du métro, mais toutes ces belles langues administratives, informatiques, bancaires, si elles étaient en vers !

Suite à un accident voyageur… qui ne préfèrerait à cette langue de bois insipide et hypocrite quelques vers bien tournés et fleuris, qui nous diraient, grands dieux, ce qu’est la vie ?

Alors, je vous propose un petit poème à ma façon, un petit poème bien poétique, à la poinçonneur des Lilas, un peu populo quand même, mais on est dans le métro, non ?

Suite à un accident voyageur… non, pas du tout m’sieurs dames :

Gardons nos distancesUn pauvre gars s’est foutu en l’air…
Porte des Lilas, c’tait pourtant joli,
L’aimait pas les fleurs printanières,
Il préférait les pissenlits

Les pissenlits par la racine,
C’est pas si terrible qu’on le dit !
C’est nutritif, ça donne bonne mine
Pis ça rajoute d’la poésie.

Ben ouais, tu seras pas à l’heure,
T’as plus qu’à changer de station!
Va te faire poinçonner ailleurs,
Si t’es en retard, c’est tes oignons.

Au moins, c’est clair.

Jacqueline Phocas Sabbah
Mot à mot

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