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Chiharu Shiota, un fil après l’autre
| 21 Juin 2017

Chiharu Shiota, “Destination” © Bertrand HuetIl faut aller voir les œuvres de Chiharu Shiota parce que les images que vous en verrez, les vidéos, ne remplaceront en rien une visite. Vous me direz : c’est vrai pour toutes les œuvres ou presque, et chaque amateur d’art a son souvenir d’un classique usé jusqu’à la corde qui l’émerveilla cependant quand ils se trouvèrent en tête à tête – Van Gogh dans toute sa lumière à Amsterdam, ou encore l’organique Qui a peur du Grand Méchant Loup, d’Adel Abdessemed, une toile de 3,5 mètres sur 8 composée de dépouilles d’animaux naturalisées en écho au Guernica de Picasso.

Il faut aller voir les œuvres de Chiharu Shiota car c’est dans le live qu’elles fonctionnent à plein. Vous en prenez plein les yeux, et votre cerveau met un moment à départager l’aspect strictement esthétique du cérébral qui déjà vous rattrape. On avait vu l’intervention de l’artiste japonaise, née en 1972, au Bon Marché en début d’année, grandiose et féerique. La voici dans un double retour : celui-ci vers un espace plus intime, la galerie Daniel Templon et son annexe, rue Beaubourg à Paris ; celui-là vers le thème qui l’a mise en avant à la biennale de Venise 2015 – les barques et leur océan de fil rouge.

Chiharu Shiota, “Destination” © Bertrand HuetArtiste travaillant sur la mémoire, sur l’absence, Chiharu Shiota rappelle, à l’occasion de cette exposition visible jusqu’au 22 juillet, que ses embarcations sont avant tout une représentation de la vie en tant que « voyage incertain et merveilleux ». Ce dernier adjectif est incontestable (on pourrait dire également « onirique »), tant on a l’impression de pénétrer dans un de ces rêves « étrange et pénétrant », où ce sont peut-être les absents « que la vie exila » qui donnent une impression de plein à cette pièce pourtant vide d’humains.

À moins que ce ne soit le fil tissé, sorte de barrière arachnéenne entre nous et un non-lieu aperçu mais inatteignable – et cependant suspendu là comme une menace. Une impression qui se décline dans l’œuvre de Chiharu Shiota : en 2000, During Sleep nous plaçait face à un tissage noir, cette fois, derrière lequel des humains (endormis ? morts ?) reposaient sur des lits d’hôpital en vrac, comme en partance ou abandonnés ; dans From in Silence (2007), des chaises vides, sortes de témoins d’une réunion passée, étaient couvertes de ce même tissage chaotique, tandis que des fils tombaient depuis les projecteurs comme les rais du soleil.

Chiharu Shiota, “Destination” © Bertrand Huet

Autour de la fascinante barque – qu’on regarde en pensant au calvaire des migrants – les Skins, grandes toiles tissées, ou encore une série d’objets enfermés au sein d’un tissage à l’apparence tout à la fois fragile et rebutante – cette impression que l’on a en s’enfonçant dans la poussière d’un grenier, entre fascination pour les histoires qu’on pourrait y trouver et peur d’un passé qui en ressurgissant pourrait nous placer face à notre propre mortalité.

Stéphanie Estournet
Arts plastiques

Chiharu Shiota, “Destination” © Bertrand HuetPhotos © Bertrand Huet (Tutti images)

Chiharu Shiota, « Destination », galerie Daniel Templon, 30, rue Beaubourg, 75003 Paris. Jusqu’au 22 juillet 2017

 

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