
alors au seuil de la vieillesse c’est bien des coups que m’a portés mon père lorsque j’étais enfant et du regard absent de ma mère qui pensait que son mari savait comment on éduque un garçon, que je suis mort : je me suis effondré lentement, comme au ralenti, l’air étonné qu’une balle tirée de si loin dans le passé puisse m’atteindre avec cette force mortelle, au présent, soixante ans plus tard . J’aurais aimé à cet instant que mes derniers mots puissent faire le trajet inverse, parcourir les soixante ans qui me séparaient, croyais-je, de mon enfance (mais qui étaient en réalité la chair de ma vie, quelque chose qu’une balle troue aisément), et sonner aux quatre oreilles de mes parents, celles de mon père dont le bras armé d’une sandale s’abattait sur mes fesses nues et celles de ma mère, absentes, occupées du chant du couteau entre la chair et la peau des pommes de terre ; ils m’auraient entendu leur dire : papa, maman, vous me tuez, ils auraient su, peut-être ma mère serait-elle venue retenir le bras de mon père et aurais-je pu me reculotter en leur souriant, soulagé d’avoir été entendu. Mais si les coups du passé frappent encore dans le présent, les paroles du présent ne portent pas dans le passé. Alors, comme je n’avais pas non plus d’avenir, je me suis tu et je suis mort en silence, un peu comme
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