Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
Alors ça y est, les résultats du premier tour sont tombés.
Surprise : il n’y a pas eu de surprise.
Voilà.
Bien sûr, cela aurait pu être pire. Nous aurions pu écoper d’un duel Fillon/Le Pen au second tour. L’extrême droite contre l’extrême friponnerie.
On y a échappé. Pour un duel opposant « Les Français d’abord », « Mains propres et tête haute », « On est chez nous », « La France apaisée » à un ex-banquier ex-ministre de l’Économie de Hollande, sans parti, idole des patrons, en marche et en tête.
On va sans doute échapper au pire mais aussi, probablement, au mieux.
Et le dimanche 7 mai, ce sera le deuxième round.
[Soupir]
Certains, peut-être, voudraient n’avoir pas à vivre cette deuxième journée d’élections, n’avoir pas à subir ces heures d’attente où tout sera (heureusement) déjà joué, n’avoir pas à boire ces bières au goût amer devant un écran de télévision qui finira par afficher un visage, forcément – et voilà c’est reparti pour cinq ans –, voudraient être ailleurs, ne serait-ce que pour quelques heures, il sera bien temps ensuite de se coltiner la réalité rêche durant les années qui suivront, mais enfin, là, tout de suite, un bol d’air, une escapade sur la lune (on évite Mars, trop connotée politiquement ces derniers temps), une partie de pêche au bord d’un ruisseau de Lichans-Sunhar, n’importe quoi, laissez-moi m’enfuir, me terrer, oublier que les campagnes politiques sont interminables et accouchent de jeunes souris aux dents longues.
Si vous êtes, à peu de choses près, dans cette disposition d’esprit, j’ai ce qu’il vous faut.
C’est un très gros livre écrit par un Anglais, David Mitchell, mais l’aspect massif du traitement ne doit pas vous effrayer. Vous l’entamerez le 7 mai au réveil : au lit, c’est une journée où toute activité dynamique et constructive est à proscrire. Un café ou un thé, selon vos goût, deux ou trois choses à grignoter, et hop, retour en position horizontale, des oreillers bien rembourrés, et c’est parti. L’objet, joliment intitulé L’âme des horloges (éditions de l’Olivier, traduit de l’anglais par Manuel Berri), fait dans les 800 pages, vous en avez pour une bonne grosse journée continue sans trop de pauses, et de ce 7 mai vous garderez le souvenir d’un voyage extraordinaire, d’une échappée fascinante.
Ce qui n’était pas gagné.
L’histoire démarre dans l’Angleterre des années 80 – Holly Sykes est une adolescente de 16 ans – et nous conduit jusqu’à l’Irlande de 2043 – Holly a dépassé les 75 ans, vit dans un monde « de plus en plus rapiécé », ravagé par la menace nucléaire et les « batailles rangées où l’on se dispute le peu de réserves qui restent« .
Entre les deux, l’auteur suit différents personnages aux parcours souvent accidentés quand « l’indifférence générale est le mode de fonctionnement du monde actuel ». Qui croisent parfois la route d’êtres différents, les « Immortels », divisés, engagés dans une guerre sans merci et invisible au commun des mortels. L’ouvrage, foisonnant, mêle les perspectives et les histoires individuelles, mais ne perd jamais de vue sa protagoniste principale, fil rouge d’un roman qui saute d’un genre à l’autre avec une agilité réjouissante, tour à tour tableau réaliste de l’Angleterre des années 80, satire du milieu littéraire, récit de guerre en Irak, roman de campus ou récit de science-fiction.
On en sort abasourdi. Et pas vraiment pressé d’arriver en 2043.
Et c’est là qu’après avoir tourné la dernière page, une bonne surprise vous attend : sacrebleu, mais nous sommes en 2017 ! Tout reste à faire, c’est magnifique.
Oui, mais nous sommes le 7 mai.
Ah oui c’est vrai.
Cela dit, lorsqu’à 20 heures, les résultats tombent, vous êtes là mais sans être vraiment là, encore abasourdi par votre lecture, et cette distance, ce détachement vous préserve de toute frustration, lassitude ou agacement trop pesant.
Bien sûr, tout cela viendra, reviendra, le remède n’est qu’éphémère, mais vous aurez passé sereinement et sans douleur un cap clairement problématique. Ce qui est fait est fait et n’est plus à faire.
La suite peut attendre.
Nathalie Peyrebonne
Ordonnances littéraires
0 commentaires