“Le Nombre imaginaire” ou les mathématiques comme terrain de jeu où l’imagination seule fixe les limites.
Plaisirs de farniente et de lecture… une fois n’est pas coutume, cette (courte) chronique offre quelques suggestions pour occuper votre esprit s’il en est besoin.
D’abord, la toujours intéressante chronique de Jean-Paul Delahaye dans Pour la Science, intitulée Logique et Calcul. Certes plus technique que celle de votre serviteur, car destinée à un public a priori davantage versé dans les sciences, elle traite avec bonheur de sujets d’actualité mathématique très variés, parfois fascinants, et généralement abordables (vous n’avez pas besoin de vous casser la tête sur les encadrés plus matheux). Au programme de ce mois de juillet, on trouve un problème dit “des 50 prisonniers” dont je vous laisse découvrir l’énoncé et l’étonnante solution. Sans vous gâcher la surprise, je peux sans doute vous révéler qu’il s’agit de ce type de problème où tout le monde gagne ou perd en même temps. Chaque prisonnier cherche tour à tour son nom dans un ensemble de boîtes et a une chance sur deux de l’y trouver; mais il ne sera libéré que si tout le monde gagne. Il est gardé à l’isolement après avoir joué, et son passage ne laisse aucune trace. Si chacun se contente de jouer au hasard, la probabilité que tout le monde gagne et soit libéré est infime. Peut-on faire mieux ? Oui, en créant un couplage, une corrélation entre les succès individuels des uns et des autres : avec la stratégie adoptée, je gagne plus souvent si les autres gagnent aussi.
Dans le même numéro de cet excellent magazine, une réflexion passionnante de Christian Walter sur la finance dite éthique, et en particulier sur le caractère performatif des algorithmes qu’elle utilise. Les mathématiciens – et les économistes comme nous l’avons vu – aiment à penser que leurs modèles sont éthiquement neutres, puisqu’ils représentent une vue du monde mais ne sont pas le monde : le processus de choix du modèle peut donc être soumis à critique morale, mais pas le modèle lui-même. Or, comme le fait remarquer l’auteur, ceci n‘est pas vrai dans le monde de la finance, dans la mesure où les algorithmes d’arbitrage font bien plus que modéliser la réalité : ils forment la réalité financière elle-même puisque toutes les transactions réelles en sont issues. Un algorithme financier est donc un énoncé performatif, qui rend actuel ce qu’il décrit. Une approche éthique de la finance doit en conséquence passer par une analyse critique morale des modèles et des algorithmes eux-mêmes. Choisir de minimiser le risque moyen ou de limiter les extrêmes, par exemple, aboutira à des arbitrages différents et aura des conséquences très concrètes.
Enfin, on pourra lire ou relire avec profit l’hilarante et autoproclamée unique trilogie en cinq volumes de Douglas Adams, Le Guide du Voyageur Galactique (anciennement Guide du Routard Galactique, il y aura eu problème de droits…). Absurde, nonsense, dérision et humour anglais y côtoient un jeu délicieux et d’une rare finesse avec les concepts classiques de la science-fiction. Quand on découvre de quelle question le nombre 42 est la réponse, force en est (surtout si l’on est lecteur régulier de cette chronique) de conclure que l’Univers est effectivement assez Shadok…
Bonnes vacances à ceux qui partent, et à la semaine prochaine !
Yannick Cras
Le nombre imaginaire
[print_link]
0 commentaires