On l’avait raté au Théâtre de la Ville en octobre 2015, on s’est précipité à Montpellier Danse pour redécouvrir avec bonheur le Grec Dimitris Panaioannou. On avait gardé un souvenir clair de sa mise en scène, en images et en danse de sa Medea en 1998 à la Biennale de la Danse de Lyon, laquelle s’ébattait dans une pataugeoire. Car ce n’est pas la première fois qu’il vient en France, même si on voudrait le voir plus souvent. L’occasion se présentant, on l’a retrouvé avec une autre figure de la mythologie grecque : Sisyphe.
Le plateau est surplombé par un ciel menaçant fait d’une vaste structure gonflable où Éole souffle ses vents. La scène est noire, crayeuse. Tout s’y effrite et tout s’y reconstruit. Les personnages sont bien trempés, crayonnés. Homme d’image, bédéiste, formé au mieux par le peintre Yannis Tsarouchis, Dimitris Papaioannou dessine autant qu’il chorégraphie. S’attachant à la condition absurde de Sisyphe, condamné à la double peine : porter inlassablement un caillou et subir l’immortalité, il multiplie les scènes cocasses ou tragiques. L’homme ploie sous le poids de la pierre, en même temps il est capable de la traverser pour devenir une femme ou pour plonger dans l’inconnu. Un homme rôde dans la salle, sans doute le chef de chantier. Les personnages qui ont des petites ailes discrètes peintes sur leurs vestes noires sont des maçons, des anges maçons.
Still Life (Nature morte) est une allégorie de la Grèce, du peuple grec qui reconstruit sur les ruines, les désastres économiques. Le chorégraphe rend hommage à cette force de résistance qui sut par exemple repousser la dictature des colonels et qui, aujourd’hui, se bat contre les sombres réalités économiques. Le spectacle peut résonner de multiples façons. Mais on aime surtout Sisyphe “héros de la classe ouvrière” comme le définit Dimitris Papaiannou. Dans une scène finale, les Sisyphes et consœurs quittent ainsi le plateau pour casse-croûter dans la salle, à la pause syndicale.
Jouant sur les immobilités créées par le sur-place de l’éternel recommencement, cherchant une faille pour trouver un chemin de liberté, un “Sisyphe heureux”, au plus proche des petits corps humains bâtisseurs, absorbant leur sueur produite par leur lourde tâche absurde, Dimitris Papaioannou offre l’image d’un chantier et ne cherche pas à dépoussiérer les mythes. On en reste médusés, encore un coup des Gorgones.
Marie-Christine Vernay
Danse
[print_link]
0 commentaires