L’occasion était trop rare pour que l’on passe à côté : l’exposition d’une trentaine de toiles du peintre géorgien Niko Pirosmani (1862-1918) à la fondation Van Gogh à Arles. Un de ces artistes dits « naïfs » qui, leur vie durant, ont œuvré dans le périmètre de leur environnement immédiat et peint leur quotidien, celui des petites gens. Mais aussi, pour Pirosmani, quelques grands événements de l’histoire (la guerre russo-japonaise de 1904-1905) et des aperçus de la vie des couches aisées de la société.
Disons-le tout de suite : c’est un éblouissement. Le plus frappant, peut-être, ce sont ces tableaux représentant des animaux, le plus souvent les bêtes sauvages habitant la forêt proche : cerf, ours, sanglier… Présentés à nos yeux sous les espèces du portrait, ce qui change radicalement le regard que l’on porte sur eux. D’ailleurs, est-ce bien nous qui les regardons ? Pour certains, on peut en douter. Ils ne posent pas, ils sont là, tels la grande girafe, le cerf ou le chevreuil, le regard fixé sur le spectateur, comme surpris dans leur environnement naturel. Dépourvus de crainte, ils ont la tranquillité de ceux qui se sentent l’égal de leur vis-à-vis. Et l’on sent entre eux et celui qui les a peints une fraternité, une connivence qui relève moins du sentiment que de la conscience partagée d’appartenir à une dimension qui dépasse l’existence ordinaire. L’ordre du conte, peut-être, en ce qu’il lie mystérieusement les êtres et les choses sans pour autant créer un monde idyllique.
Car la violence est là, au cœur même de cet univers où il faut bien chasser et tuer pour vivre. Et où l’homme cède encore et toujours au besoin irrépressible de massacrer ses semblables. La guerre, la chasse, le sang et la mort habitent ces images, mais au même titre que la fête villageoise, les activités de la ferme ou la grâce déployée par « L’actrice Margarita ». La prétendue « naïveté » de cette peinture procure l’impression troublante qu’on a affaire à un regard clairvoyant, qui voit – et représente – la vie dans la multitude de ses facettes, sans juger, avec compassion.
Un espace se dessine, qui bouscule les hiérarchies. Tout y voisine avec une égale dignité et une même importance, hommes, bêtes et plantes. Une dignité qui est celle du monde et que le pinceau de l’artiste recompose avec humilité et émerveillement. Aucune recherche de virtuosité, simplement l’effort de montrer ce qui est là. Non à la manière d’une restitution réaliste, mais plutôt comme l’invitation à accéder à un espace autre, infiniment plus riche que celui que nous connaissons dans sa structuration classique.
L’exposition met en regard les œuvres de Pirosmani avec plusieurs toiles de Van Gogh et quelques œuvres contemporaines, illustrant une fois de plus le désir de la fondation de faire dialoguer les œuvres et les artistes. Enfin, on ne terminera pas sans souligner le très beau travail d’accrochage sur des murs tapissés aux couleurs de l’artiste qui font particulièrement bien ressortir ses œuvres.
Corinna Gepner
Arts plastiques
« Niko Pirosmani – Promeneur entre les monde » / « Vincent Van Gogh : vitesse et aplomb », jusqu’au 20 octobre 2019, Fondation Vincent Van Gogh, 35, rue du Docteur Fanton – 13200 Arles
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