“Un gaz potentiellement dangereux s’échappait d’œuvres de Damien Hirst.” (Analytical Methods)
En 2013, près d’un demi-million de personnes ont visité la rétrospective Damien Hirst à la Tate Modern de Londres. J’en faisais partie, et je me suis demandé en sortant pourquoi je me sentais vaguement écœuré. J’ai d’abord mis cela sur le compte de l’art industriel de Hirst qui, consommé à hautes doses, finit par provoquer une sorte de nausée chez les sujets sensibles. Or voilà qu’un article tout juste publié dans la revue Analytical Methods suggère une autre piste : ses auteurs ont testé lors de la rétrospective londonienne un nouveau type de capteurs grâce auxquels ils ont repéré dans l’air un taux de formol dix fois supérieur à la norme autorisée. La faute aux œuvres croquignolettes de Hirst comme Away from the Flock et Mother and Child (Divided) exhibant des animaux plongés dans du formol. Il faut donc croire que les aquariums de l’artiste ne sont pas totalement hermétiques. Cela dit, bien qu’élevée, cette concentration de formol dans l’air aurait eu du mal à provoquer le moindre malaise chez un visiteur. Elle ne poserait problème qu’à des individus passant des années le nez collé sur une œuvre de Damien Hirst, leur propriétaire par exemple. Tant d’argent dépensé pour respirer un gaz cancérigène !
Il me faut donc revenir à ma première hypothèse, celle de la puissance émétique d’un certain art contemporain qui, à la lettre K par exemple, inclurait les productions d’Anselm Kieffer et de Jeff Koons. Ce n’est évidemment pas là un jugement de valeur, seulement l’observation de la réaction du corps humain à une exposition prolongée à certaines œuvres.
L’art n’est jamais sans danger. Du temps que Niki de Saint Phalle faisait ses happenings à la carabine, nul n’était à l’abri d’une balle perdue, mais c’était tout de même plus gai que des vaches baignant dans le formol. Dès même la naissance de l’art pariétal, on risquait fort de se faire bouffer (ou pire) par un ours arrivant par derrière en contemplant des empreintes de main sur les parois des cavernes. Si Picasso est sorti indemne de sa visite des grottes de Lascaux, les plantigrades se faisant rares en Dordogne, l’art contemporain en est ressorti en piteux état puisque le peintre aurait déclaré in situ : “Plus rien ne pouvait être dit après ça” – ou, selon d’autres sources, “Nous n’avons rien inventé” ou encore “Nous n’avons rien appris”, ce qui revient à peu près au même. Bref, si l’on prend Picasso au pied de la lettre, pas mal d’artistes auraient perdu leur temps pendant des milliers d’années, et il est bien possible que ce gâchis ne soit pas terminé.
Cette anecdote pariétale, Damien Hirst aime à la raconter pour justifier le fait qu’il puise la plupart de ses idées dans le passé. Ses fameux tableaux de papillons seraient par exemple inspirés des plateaux à thé de l’époque victorienne. Et tout ce bétail plongé dans le formol ? Pareil : ces images peuvent être rattachées à la tradition pastorale anglaise ou bien aux cabinets de curiosités de la Renaissance. Le formol, alias le formaldéhyde, n’est pas non plus une révolution puisque ce composé organique de la famille des aldéhydes a été synthétisé dès 1859.
La vraie nouveauté, dans le fond, c’est qu’un type comme le financier américain Steve Cohen soit prêt à débourser huit millions de dollars pour un requin plongé dans des mètres cubes de formol, œuvre pompeusement baptisée The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living. Ce sont les acheteurs qui sont les vrais héros de l’art d’aujourd’hui. Ils savent désormais ce qu’ils risquent.
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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