“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Dominique Arribagé est le neuvième entraîneur de Ligue 1 à céder la place cette saison. Avec ses costumes cintrés et ses foulards pastels, il laisse le souvenir d’une élégance fragile, dandy perdu sur les terrains boueux comme Antinoüs dans la fange du Nil, entraîneur sans diplôme, pas à sa place, l’air perplexe, les bras croisés, déjà parti avant d’arriver. Pour le remplacer au chevet d’un Toulouse FC aux portes de la relégation, Pascal Dupraz, qui n’a pas oublié son bonnet pour sa première séance d’entraînement.
Les hivers toulousains sont parfois humides, mais le bonnet de Dupraz produit sous ces climats méridionaux le même effet décontextualisé que la chemise blanche d’Hervé Renard à Lille : un décalage porteur de sens, qui convertit le vêtement en symbole.
Dès l’abord, le bonnet dit l’origine : Dupraz le haut-savoyard affiche son identité montagnarde. Pour lui qui n’a jamais entraîné d’autre club qu’Evian-Thonon-Gaillard, c’est un avantage et un inconvénient. Inconvénient car le bonnet rappelle cet ailleurs dont il vient, qu’il n’a jamais quitté. En même temps qu’il exacerbe son altérité, son hétérogénéité, le bonnet dit l’inexpérience du vaste monde, la préjudiciable condition locale de “gars d’la Yaute”. Les sceptiques se demandent : “est-il capable d’entraîner ailleurs que dans ses montagnes ?”, ainsi qu’il l’a lui-même souligné en conférence de presse. Mais c’est aussi un avantage, dans la mesure où le bonnet en étendard proclame la fidélité à l’origine, la “savoyardité” fièrement arborée, et des valeurs de loyauté en même temps que de constance.
Or Dupraz n’a eu de cesse de le répéter devant la presse : le TFC est un “club de valeurs” (à ne pas confondre avec le PSG, qui est un club de valeur). Le bonnet s’affiche alors en gage de la compatibilité morale du club et de son nouvel entraîneur. De quelles valeurs parle-t-on ? Les “valeurs familiales”, bien sûr. Le bonnet de Dupraz n’a rien d’un bonnet de compétition, un bonnet de slalom géant, c’est le bonnet tout simple d’une balade à la neige, celui qu’on met pour déneiger l’allée du garage. D’autant que ces valeurs simples et conviviales qu’incarne le bonnet ne sont pas inédites : en France, qui dit entraîneur à bonnet dit Guy Roux.
Le temps, la publicité et les Guignols de l’Info ont construit un personnage qui transcende la personnalité réelle de l’ancien entraîneur de l’AJ Auxerre. L’image de Guy Roux, c’est le bon sens paysan, les pieds sur terre, le pragmatisme, l’humilité, la simplicité, toutes valeurs rassurantes pour un président de club. C’est aussi l’assurance que son futur entraîneur n’a rien d’un mercenaire mais s’inscrit au contraire dans la continuité d’un projet, à l’image du recordman de longévité des entraîneurs en France (40 saisons). Si le bonnet est le symbole d’une identité, c’est aussi un argument de vente, un élément de communication.
Mais attention, le bonnet n’est pas l’apanage que du skieur du dimanche. Il y a du passe-montagne dans le bonnet, celui des alpinistes, des révolutionnaires mexicains et des commandos. Qui en arrive coiffé montre qu’il s’attend à tout, aux tempêtes de neige et aux avalanches. Dupraz, premier de cordée ! On imagine un piolet dans son sac à dos, une couverture de survie, des crampons de glacier. C’est un chasseur alpin, rompu à la survie en milieu hostile, un guerrier des montagnes, le digne descendant des vaillants Allobroges. Le jour de sa nomination, il l’a dit à la presse : “Je n’ai même pas eu le temps de m’acheter un pantalon de rechange.” À l’appel d’Olivier Sadran, l’homme des cimes est descendu de sa montagne en courant pour sauver le TFC, n’emportant que le minimum de survie : un pantalon, deux paires de chaussettes, deux chemises. À la dure, avec sa bite et son couteau. Et bien sûr son bonnet.
Tant mieux, car un bonnet, c’est pratique quand on tombe malade. La veille de son premier match, Pascal Dupraz s’est senti mal, et le TFC a fait match nul à Marseille (1-1). On attendait un remède de cheval de la part du gars d’la Yaute appelé au chevet du club souffrant, le genre cataplasme à la gnôle et bains dans l’eau glacée : ce sera plutôt médecine douce. Pour tutoyer les sommets, on attendra. Au coin du feu, bien emmitouflé, une couverture sur les genoux et un vin chaud pour se réchauffer. Avec un bonnet de nuit sur la tête…
Sébastien Rutés
Footbologies
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