Insultologie Appliquée. La Terre se réchauffe, les esprits s’échauffent, les chefs d’État s’injurient : l’insulte est l’avenir d’un monde en décomposition. Chaque semaine, la preuve par l’exemple.
La flagornerie est parfois pire que l’insulte. Cela peut même tourner à l’assassinat comme la journaliste Anna Cabana en a fait une convaincante démonstration il y a quelques jours sur BFM-TV, dans une séquence qui n’a pas fini de réjouir Internet. Sur le plateau de la chaîne, un panel d’éditorialistes était invité à disserter sur ce thème épatant : « Qu’est-ce qui ne tourne plus rond chez Emmanuel Macron ? » Il s’agissait d’analyser quelques récents désastres survenus dans la Macronie, en particulier le tollé provoqué par le piteux refus de la majorité d’allonger le congé parental en cas de décès d’un enfant. Pourquoi un tel chaos dans les rangs de LREM ?
Réponse de Cabana, en substance : Macron est trop génial, son entourage n’arrive pas à suivre. « Le président de la République impressionne tout le monde autour de lui. Il impressionne et les conseillers et les ministres », s’est extasiée l’éditorialiste.
Pour elle, le problème est qu’au lieu de créer « une belle et saine émulation », cet être supérieur « paralyse le système ». Comment ? « Ils sont tous au fond dans une forme de sidération […], il est exceptionnel, Emmanuel Macron ». Et Anna Cabana de vanter l’intelligence du Président et, nous citons encore en tentant de rester calme, « la chimie assez exceptionnelle de son être ».
Dans un autre monde, ou dans une dimension parallèle, l’éditorialiste de BFM aurait pu dénoncer la suffisance exceptionnelle de l’« Éborgneur du Touquet », surnom donné à Macron par des citoyens choqués par les violences policières qui, sous son règne, ont fait quantité de blessés graves. On aurait certes été un peu surpris, mais cette soudaine acrimonie aurait pu être mise sur le compte d’un moment d’égarement ou de fatigue. Dur métier en effet que celui du journaliste obligé de pérorer à l’infini sur des plateaux où le moindre hoquet de la vie politique se transforme en affaire d’État digne d’une édition spéciale.
Entendre vanter la « chimie exceptionnelle » de l’être Macron sur fond de parents affligés, de yeux crevés et de mains arrachées, était à peine moins surprenant. C’était en tout cas le moyen pour Cabana de s’assurer ad vitam une place d’honneur au bêtisier de la politique tout en enfonçant son idole dans le ridicule. Il eût été moins dangereux pour l’éditorialiste, et sans doute plus proche de la réalité, de dire que c’était le bordel au sein de la République en Marche et que Macron en était en grande partie responsable, si bien qu’il était naturel qu’il en fasse les frais.
Il faut remonter loin pour trouver une flagornerie d’une chimie aussi pure. Peut-être jusqu’au maréchal de Villeroi, gouverneur du jeune Louis XV qui, un jour, montrant la foule à son élève, lui assura : « Voyez, Sire, ce monde et ce peuple, tout cela est à vous, tout cela vous appartient, vous en êtes le maître ». Cabana, derrière le maréchal, aurait sans doute ajouté : « Et vos sujets sont de tristes idiots, votre Grandeur au génie scintillant ».
Édouard Launet
Insultologie appliquée
0 commentaires