“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Comme Valère Germain ce week-end face à Nice, les joueurs renoncent souvent à fêter un but contre leurs anciens clubs. Une marque de respect qui n’est généralement que rétrospective, et sans doute autant motivée par la fidélité que par la peur des représailles. Mais insulter l’avenir n’est pas plus sûr, comme Anthony Mounier en a fait l’expérience. L’ancien joueur de l’Olympique lyonnais qui avait injurié le rival historique a vu avorter son transfert à Saint-Étienne, sous la pression des supporteurs. La conclusion de la banderole déroulée au cours du derby de ce week-end en dit long : « assumez vos responsabilités ». Dans le monde du football où le respect de la parole donnée reste un concept flou et où la langue de bois règne en maître, les supporteurs rappellent que les mots engagent celui qui les prononce. Certains hommes politiques feraient bien de s’en inspirer…
Comme Mounier à Saint-Étienne, Grégory Sertic a été victime de la pression des supporteurs à Bordeaux, mais pas pour partir : pour rester. En Espagne, ce sont les aficionados du Rayo Vallecano qui ont manifesté contre le prêt par le Betis Séville de l’Ukrainien Roman Zozulya, à qui ils reprochent ses liens avec les milieux ultranationalistes.
Trois cas relativement différents : ceux de Mounier et Zozulya montrent qu’il est de rares situations où l’intérêt sportif cède devant des considérations idéologiques ou morales, tandis que celui de Sertic relève de ce crime passionnel des amants éconduits qui préfèrent détruire ce qu’ils aiment plutôt que d’autre le possèdent. En jeu à chaque fois, au-delà de la violence condamnable : l’idée que l’on se fait de l’entité à laquelle on appartient, les valeurs dans lesquelles on se reconnaît et, au bout du compte, la perception d’une identité propre mise en péril par le comportement d’autrui.
Mais surtout, c’est la démonstration qu’un club n’appartient pas qu’à son propriétaire. Il est rassurant de voir encore remise en cause la loi du plus riche. Bien des ouvriers voudraient voir ainsi reconnu leur pouvoir de décision sur l’entreprise à laquelle ils s’identifient. C’est le mythe du socio espagnol : le phalanstère sportif, l’égalité entre tous, tout particulièrement entre ceux qui possèdent et ceux qui font vivre. C’est de la réappropriation de club, comme on collectivise une usine, l’idéal de l’autogestion. Le coup de force qui ne tient compte ni des plans financiers ni des stratégies politiques. Ceux qui prennent le sport pour un baromètre social ne manqueront pas de rappeler que Nicolas Sarkozy, François Hollande, Manuel Valls ont déjà fait les frais de cette reprise en main citoyenne, et que les banderoles semblent prêtes pour renvoyer François Fillon au vestiaire.
Les temps changent : le consommateur veut consommer équitable et le supporteur supporter éthique. Il semble aussi que l’électeur veuille leur emboîter le pas…
On regrette que les joueurs ne soient jamais partie prenante : « c’est le coach qui décide », « c’est le président qui a le dernier mot ». Déplorable exemple de soumission au capital que les supporteurs viennent heureusement contrebalancer. En acceptant d’en devenir un après avoir clamé « baiser les verts », Mounier n’a pas montré une grande résistance de ses principes à l’appât du gain.
Tout de même, un contre-exemple suffisamment rare pour être noté : Fabien Lemoine, qui a quitté le terrain de son propre chef, dans les dernières minutes du derby Saint-Étienne-Lyon, après avoir été victime de deux agressions qui ont valu l’expulsion à Corentin Tolisso et Rachid Ghezzal. C’est le droit de retrait unilatéral, la clause de dédit, la rupture de contrat. En proclamant qu’il ne « joue pas pour se faire casser la jambe », Lemoine ajoute une condition au principe absolu selon lequel un joueur est fait pour jouer. Bien plus inattendu que de voir des parlementaires socialistes se désolidariser de Benoît Hamon, et des députés de droite lâcher un François Fillon empêtré dans les affaires…
Les cas de conscience, c’est aussi rare au football qu’en politique. Mais quand tout le monde décide de s’y mettre, il faut peut-être y voir un signe des temps…
Sébastien Rutés
Footbologies
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