“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
L’affaire Tongo Doumbia. Le joueur du Toulouse Football Club a été condamné à 10.000 euros d’amende et huit mois de prison ferme pour excès de vitesse répétés, absence de permis et conduite en état d’ivresse à l’origine d’un accident. Réforme pénale oblige, sa peine a été aménagée, il l’effectuera sous le régime du bracelet électronique. Une situation qui suscite d’intéressants débats.
D’abord, le rapport à la loi. L’affaire Doumbia risque de mettre en lumière un conflit entre loi pénale et loi du jeu. Sa peine ayant été aménagée en vertu de la réforme pénale de 2014, rien n’empêche Doumbia de jouer au football. Par contre, les règles de la FIFA lui interdisent de jouer avec des bijoux ou tout autre équipement “dangereux pour l’adversaire”, ce qui peut valoir pour le bracelet électronique. Cas intéressant : ce n’est pas la loi qui empêche le joueur d’exercer son métier, ce sont les règles propres à sa profession. Comment se résoudra la tension ? Un des codes doit céder. Si c’était la loi du jeu, Doumbia pourrait jouer avec le bracelet, il représenterait alors un danger potentiel pour ses adversaires. Qui en serait responsable ? Lui-même, qui pourrait faire l’objet de poursuites pour coups et blessures involontaires ? L’arbitre qui aurait jugé le bracelet inoffensif et serait coupable aux yeux du jeu –par manquement à sa fonction de protection des joueurs– et devant la loi, pour non-assistance, peut-être ? Ou alors le club employeur, ou la FIFA ? Personne ne s’y risquera, quoique plusieurs arbitres se disent favorables, selon une enquête de la DTN. Alors, l’avocat du TFC cherche à obtenir l’infléchissement de la loi pénale, en demandant une dérogation les jours de match. On se rappelle que Vincent Péricard, condamné en Angleterre en 2007 pour usurpation d’identité suite à des excès de vitesse, avait obtenu de jouer avec Stoke en soirée sans son bracelet. Ainsi, dans le conflit entre deux lois, celle de la République pourrait-elle céder face à celle du jeu. Quel autre sport pourrait s’en targuer ? État dans l’état, la FIFA a pu croire jusqu’à récemment aux mythes de son extraterritorialité, et que ses milliards justifiaient la prévalence de ses règles sur la loi…
Mais l’affaire Doumbia pose aussi un problème de morale. Le joueur échappe à la prison grâce à la réforme pénale de Christiane Taubira, accusée de laxisme par des détracteurs au nombre desquels il semble falloir compter certains acteurs du football, qui en appellent à des sanctions disciplinaires contre Doumbia, voire à la rupture de son contrat. Le joueur ne figurait pas sur la feuille de match contre Rennes et a soudainement disparu de la sélection malienne d’Alain Giresse, qui affrontera le Bénin en éliminatoires de la CAN. Quant au TFC, il a annoncé que son joueur consacrerait 50 heures à des actions sociales en collaboration avec la sécurité routière, tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’une “affaire d’ordre privé”. Le problème est bien là, dans la distinction entre le public et le privé. S’agissant de footballeurs surmédiatisés, objets de tous les regards et tous les commentaires, la sphère privée n’existe plus, et toutes les confusions sont possibles. Témoin cette substitution des instances du football à la justice. Pour Doumbia, c’est la double peine. Que dirait-on d’un chef d’entreprise qui mettrait à pied un salarié en liberté conditionnelle dans des cas que la loi ne prévoit pas ? Situation pour le moins paradoxale : la réforme pénale crée des aménagements afin que les condamnés puissent continuer à travailler, mais c’est l’employeur qui refuse ce droit à son employé. Deux dynamiques opposées semblent à l’œuvre, dans la société et dans le sport.
Merveille du football : son permanent état d’exception ! Ses détracteurs prétendent que l’excès d’argent conduit à négliger les principes moraux. Pourtant, qu’ils sont loin les Maradona, les Gascoigne, les Huiguita ! Le football d’aujourd’hui veut des enfants sages, du moins en apparence. Pour preuve, les douze cartons rouges distribués en quatre journées de Ligue 1, plus du double de la saison passée. Dura lex, sed lex ! est le mot d’ordre arbitral. Le football se veut exemplaire, et ses joueurs –qui n’ont rien demandé à personne– se voient bombardés modèles de vertu. Dans le conflit entre moralité et légalité, les censeurs du football tranchent pour la première. Un casier vierge, voilà ce qu’on semble exiger des joueurs, à l’instar des magistrats, des instituteurs et des gardiens de prison (tout en valorisant les bads guys, plus vendeurs). La grande tartufferie du football des valeurs, plus légaliste que la loi et qui croit devoir compenser par des excès de zèle moral les multiples affaires qui l’entachent, à l’heure où Interpol poursuit à travers le monde les dirigeants de la FIFA en fuite…
Sébastien Rutés
Footbologies
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