“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
L’époque est au retour à la morale. Miracle du populisme, nos hommes politiques font pénitence, se flagellent en public et portent le cilice en soirée, sur le frac. On veut faire l’ange après la bête, et pour faire bonne mesure, convertir autrui à sa récente vertu. Alors, on rétablit les cours de morale à l’école, on prêche à la tribune et l’on décrète ici ou là des devoirs d’exemplarité, dont les footballeurs sont les dernières victimes à la mode.
Les joueurs doivent être des modèles pour la jeunesse, proclament ministres des sports et dirigeants du football qui n’ignorent pas que les investissements des annonceurs et des diffuseurs en dépendent. Un sport plus propre pour plus de profit : voilà de quoi encourager à la vertu ! Et les commentateurs de sermonner en tribune de presse, la bouche pleine des valeurs du sport, de distribuer les mauvais points comme les arbitres français des cartons rouges, et de s’autoproclamer comité sportif de salut public.
Il en va de ces censeurs comme des critiques d’art qui crient à l’immoralité d’une œuvre. Pourquoi pas ? L’art est un champ en perpétuelle évolution. Les arts du spectacle y ont fait leur entrée. Les deux notions –art et spectacle– tendent à se recouvrir. On parle désormais d’arts du cirque, d’art de la tauromachie. Dans la société du spectacle, le football se donne à voir, il met beaucoup plus en jeu que le simple résultat. Représentation, il prône l’attractivité, le spectaculaire, le beau. Pourquoi alors ne pas parler d’art ?
Or, si le match fait œuvre, s’applique le précepte d’Oscar Wilde dans la préface au Portrait de Dorian Gray : “il n’y a pas de livre moral ou immoral. Un livre est bien ou mal écrit. Un point, c’est tout.” Non pas que la fin justifie les moyens (comme dit le philosophe : “il n’y a que les trois points qui comptent”), c’est au contraire la valeur esthétique du football qu’il s’agit de proclamer : un match est bien ou mal joué, un point c’est tout.
Un championnat, c’est une saga, avec ses personnages et sa dramaturgie. Chaque journée est un roman, chaque match un chapitre et chaque joueur, un mot, une expression ou une phrase. Qu’importe que le mot soit vulgaire si l’œuvre l’exige ? Des poèmes sublimes furent composés avec des mots orduriers, et d’autres décrivent une charogne. Ni le sujet ni le registre de langage ne font la valeur d’une œuvre littéraire. C’est le tout, pas la partie qu’il faut valoriser. “Révéler l’Art en cachant l’artiste, tel est le but de l’Art”, écrit Wilde : révéler le match en cachant le joueur, tel est le but du football.
Art éphémère jadis, happening, performance pour quelques privilégiés des tribunes ; œuvre pérenne désormais, qu’on revoit comme on réécoute un opéra, comme on relit un roman. Qui ne s’est jamais repassé la finale de la Coupe du monde 1998 ? Le résultat connu, reste l’émotion, et la beauté des gestes.
Le football a sa grammaire d’enchaînements de jeu, de déplacements sur le terrain, d’automatismes. Il a sa syntaxe de passes, ses paragraphes tactiques, et sa ponctuation : un arrêt de jeu comme un retour à la ligne, un dribble comme une virgule, une reprise de volée en forme de point d’exclamation. Les roulettes, les ailes de pigeons et les coups du sombrero, voilà les figures de style d’une rhétorique qui s’écrit avec les pieds. Le slalom d’Hatem Ben Arfa contre Saint-Etienne ? Une somptueuse période à la cadence variée : une protase cyclique, faite d’un tour sur lui-même ; une acmé de dribbles après la gradation du rythme tout en touché ; et l’apodose d’un tir croisé, à la prosodie un peu bancale, la faute à un contre favorable sur le pied de Florentin Pogba.
“Tout art est à la fois surface et symbole”, dit Wilde. Ce n’est pas en censeur qu’il faut aborder le football, mais en esthète, en critique d’art, et en analyser sans a priori la forme pour mieux en comprendre le fond, le symbole.
Sébastien Rutés
Footbologies
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