“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Cette saison, la Ligue 1 peut s’enorgueillir du meilleur dribbleur d’Europe, loin devant les Barcelonais Neymar et Lionel Messi : Hatem Ben Arfa. Seulement voilà, c’est un astre solitaire, une étoile filante sur un ciel immobile, et sa réaction après la difficile victoire de Nice face à Angers pourrait s’appliquer à l’ensemble du championnat : comment peut-on prendre du plaisir à jouer aussi défensif ?
À l’heure où la Ligue prône le spectacle, on peut s’étonner de cette tendance défensive du football français, et y chercher des explications complexes. Pourtant, une seule suffit : les chiens ne font pas des chats. Si l’on retire Leonardo Jardim qui n’a jamais été joueur, sur les dix-neuf entraîneurs de Ligue 1 on compte à l’heure actuelle : huit anciens défenseurs (Sagnol, Ripoll, Baills, Der Zakarian, Blanc, Arribagé, Galtier, Robin), six milieux défensifs (Laurey, Antonetti, Moulin, Genesio, Puel, Guégan) et deux gardiens (Printant, Montanier). Contre seulement deux milieux offensifs (Michel, Gourvenec) et un attaquant (Garande). Bien que le joueur ne fasse pas l’entraîneur, la statistique n’en est pas moins frappante, d’autant que beaucoup des susnommés appartenaient à cette catégorie de joueurs qu’on dit par euphémisme “rugueux”, destructeurs du jeu adverse plutôt que constructeurs. Et pour peu qu’on mette de côté l’Espagnol Michel, on s’aperçoit que cette tendance est bien française, comme l’attestent au plus haut niveau les derniers entraîneurs appelés à représenter la nation depuis le sacre mondial de 1998 : Lemerre (défenseur central), Santini (milieu défensif), Domenech (défenseur latéral), Blanc (défenseur central) et Deschamps (milieu défensif). Il faut que Ben Arfa s’y fasse, la défense fait partie de l’identité du football français. Seulement du football ?
Le quick and rush anglais a tout de la fameuse Charge de la brigade légère, rapide, héroïque, souvent désastreuse et dont Tennyson écrivait : “Il n’y a pas à discuter / Il n’y a pas à s’interroger.” Au contraire, le succès actuel du football allemand se base sur la stratégie du blitzkrieg : une offensive éclair de Panzer, implacable, méthodique. Quant à la France, c’est le pays de Verdun, de la guerre de tranchées, et c’est surtout la Ligne Maginot. Une série de fortifications défendues par des unités dont la devise “on ne passe pas” est héritée de Verdun, et semble avoir inspiré nos entraîneurs. Qu’elle est loin la furia francese des guerres d’Italie, héritière de cette audace gauloise qui fascinait César. Loin Napoléon, qui pensait comme Frédéric de Prusse qu’il “faut toujours attaquer le premier”. Tout un vieil esprit héroïque qui disparaît après l’échec de la stratégie de l’offensive à outrance du début de la Première guerre mondiale. Fini, le culte de l’offensive, en stratégie comme en esprit. Désormais, même notre football ressemble à un plan de bataille du général Gamelin !
Mais une identité, ça se change. L’Espagne a vaincu le syndrome de l’Invincible Armada : les meilleurs joueurs, le meilleur championnat, et pourtant la défaite inéluctable par manque d’une stratégie coordonnée. Nos entraîneurs offensifs, nos Mangin (récemment limogé, Hervé Renard est comme lui l’apôtre d’une “force africaine”), nos Nivelle partisans des “attaques brusquées”, nos Foch, exercent à l’étranger, à l’image d’un Zinédine Zidane. On voudrait qu’ils reviennent, mais peut-être le moment n’est-il pas arrivé, quand ce n’est pas seulement le football français qui est sur la défensive, frileusement retranché derrière sa ligne Maginot, mais tout un pays qui, dans le sillage de son gouvernement, peine à s’ouvrir, à aller de l’avant et s’enterre dans les tranchées d’une nouvelle “drôle de guerre”…
Sébastien Rutés
Footbologies
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