Et si ça tournait mal ? Et si le monde devenait un cauchemar ? Et si la technologie se retournait contre nous ? Et si je me faisais bouffer par mon chien, mon chat, mon cacatoès, voire les trois réunis ? Voilà des questions que l’on préfère ne pas se poser car il y a suffisamment de choses qui vont mal aujourd’hui pour ne pas en rajouter. Ne vivons-nous pas dans une dystopie rampante depuis, disons, le premier choc pétrolier et le rapport du Club de Rome sur les limites à la croissance ? Il reste peu de monde pour prédire que l’avenir sera rose puisqu’il risque fort d’être chaud, affamé, effondré, triste, électroniquement surveillé et populiste. Les Rolling Stones fêteront leurs soixante-dix ans puis leurs cent ans de carrière tandis que Johnny Hallyday ressuscité sous forme d’hologramme reviendra hurler Gabrielle à chaque coin de rue.
Ceci étant posé, il est utile de savoir précisément à quoi s’attendre. Les séries dystopiques nous y aident. Par ailleurs, forçant souvent le trait, elles dessinent un avenir sans doute plus épouvantable que celui auquel nous pouvons raisonnablement nous attendre et, dans cette mesure, elles sont vecteur d’espoir. On se console comme on peut.
Dans le registre Dystopies, la reine est la britannique Black Mirror (Channel 4 et Netflix, 2011-2019). Cette série d’anthologie de légère anticipation explore à chaque épisode un dysfonctionnement possible de la société. Tyrannie des réseaux sociaux, dérives de la surveillance vidéo, vertiges de la réalité augmentée, excès de la politique spectacle, etc. Le pire est qu’ici beaucoup de scénarios sont plausibles.
Moins réaliste et plus sanglante est la coréenne The Squid Game (Netflix, 2021). Pour le plaisir de quelques milliardaires, des gens essorés de dettes, à qui l’on promet une énorme somme s’ils sont vainqueurs, s’affrontent dans des jeux d’enfants comme un, deux, trois soleil ! lors desquels les perdants sont tués. Il n’y aura qu’un lauréat au terme de cette succession d’épreuves. Cette version asiatique des Chasses du comte Zaroff a connu un succès planétaire, tant est grande et universelle sa puissance métaphorique. Ce concours où les pauvres trépassent et les riches trépignent, n’est-ce pas la société néolibérale ?
The Handmaid’s Tale (Hulu, 2017 – aujourd’hui) ne fait pas non plus dans les papillons roses. Dans un avenir proche, la combinaison de catastrophes environnementales et de maladies sexuellement transmissibles a entraîné une baisse dramatique de la fécondité. Une secte politico-religieuse en profite pour prendre le pouvoir lors d’un coup d’État. Une partie des citoyens américains survivants se réfugient au Canada où ils forment un gouvernement d’exil. Comment peut-on imaginer une chose pareille ? Ce n’est pas demain que le Capitole sera pris d’assaut par une bande d’excités, non ?
Dans Westworld (HBO, 2016 – aujourd’hui), un parc d’attractions peuplé d’androïdes recrée l’univers du Far West. Les visiteurs peuvent y faire ce qu’ils veulent sans aucune conséquence, mais les androïdes se rebellent et ne veulent plus jouer le jeu. A la violence de l’Ouest s’ajoute celle d’une technologie en plein bug.
The Boys (Prime Video, 2019-aujourd’hui) imagine une société où les super-héros sont devenus des rois du marketing. En plus, ils sont totalement dépravés. C’est assez drôle pendant une saison.
Et si hier ?
Tout peut mal tourner aussi dans le passé : c’est le registre des uchronies. Ici se distingue d’abord The Plot against America (HBO, 2020). L’aviateur américain Charles Lindbergh, connu pour ses sympathies nazies et son antisémitisme, bat Franklin Roosevelt lors de l’élection présidentielle de 1940. La série s’intéresse alors au quotidien d’une famille juive du New Jersey sous ce régime fasciste. Diffusée sous l’ère Trump, elle avait un côté, comment dire, post-prémonitoire ? Ici un avant-goût.
Autre uchronie, tirée du roman de Philip K. Dick celle-là, The Man in the High Castle (Prime Video, 2015 – 2019). Après le largage d’une bombe atomique sur Washington en décembre 1945, les États-Unis capitulent face à l’empire du Japon et au Troisième Reich. La côte Est devient le Reich américain, la côte Ouest se mue en États du Pacifique Japonais et, en tampon, les Montagnes Rocheuses restent zone meutre. Autant dire qu’on ne rigole pas tous les jours au pays du rock and roll (lequel ne verra sans doute pas le jour).
Non, en 1969, ce n’est pas un Américain mais un Russe qui a posé le premier le pied sur la Lune. A partir de cette hypothèse, For All Mankind (Apple TV+, 2019 – aujourd’hui) rejoue la conquête de l’espace en mode dystopique et, contre toute attente, c’est extrêmement réjouissant, crédible et finement réalisé.
Bizarrement, on parle peu d’utopies dans les séries. Allons-nous si mal que cela ? Proposons cette piste à nos amis scénaristes : un jour, miraculeusement, les trains Paris-Granville (ou, disons, ceux de la ligne D du RER) se mettent à arriver à l’heure. Aux deux bouts de la ligne, c’est la liesse générale. Les gares sont pavoisées, le président de la SNCF y fait des apparitions en costume de super-héros tandis que des feux d’artifices sont tirés.
Édouard Launet
0 commentaires