Quel rapport entre le Richard III de Thomas Ostermeier donné à l’Opéra d’Avignon et El Syndrome de Sergio Boris au Gymnase du lycée Saint-Joseph ? Aucun, mis à part qu’il s’agit de deux spectacles surtitrés, le premier de l’allemand, le second de l’espagnol. Pour le reste, aucun point commun entre la production très réussie -et très applaudie- de la Schaubühne de Berlin, et le spectacle à peu près incompréhensible de l’auteur-metteur en scène argentin dont les spectateurs s’échappent par grappes alors qu’il dure à peine une heure. Quelque chose les relie pourtant, qui tient aux acteurs, ou plus précisément aux corps des acteurs.
Le Richard III mis en scène par Ostermeier est centré sur la performance du comédien Lars Eidinger, qui interprète le rôle titre. C’est peu dire que Eidinger s’approprie le monstre : il semble avoir avalé la potion du docteur Jekyll pour renaître en un Hyde qui est aussi simultanément ou à tour de rôle, Tartuffe, Quasimodo ou Igor, le serviteur de Frankestein. Bossu comme il se doit, Eidinger porte sa bosse dans un harnais et s’exhibe volontiers torse nu, comme si l’impudeur de ses mots était directement relayée par son attitude physique, d’autant plus gênante qu’il est tout près des spectateurs -il lui arrive même de cracher sur ceux du premier rang. Un gros dégueulasse qui prendrait ses aises sur la plage et vous sourirait avec ses dents pourries en se grattant les couilles. Le pire, c’est qu’il emballe, dans tous les sens du verbe, non seulement Lady Anne et Elizabeth, dont il a massacré maris et/ou enfants, mais tous les spectateurs. Son relâchement, le dégoût qu’il provoque, sont des leurres au service de son pouvoir de persuasion : on ne perd pas une de ses phrases, pas un de ses gestes, on est des mouches dans sa toile.
Les jeunes élèves de deuxième année de l’École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine sont encore très loin de ce niveau. Tout dans le spectacle imaginé avec eux par Sergio Boris est absurde, à commencer par le fait de leur faire parler uniquement espagnol alors qu’ils sont français. L’histoire est plus qu’improbable : exilés d’une France disparue et privés de subventions, un groupe d’acteurs a trouvé refuge dans dans le delta du Parana –la région de Tigre près de Buenos Aires. Trois émissaires débarquent pour leur proposer de participer à un festival de théâtre, mais le petit groupe est en plein processus de retour à l’état sauvage. Une heure durant, il ne se passe à peu près rien, hormis des répliques qui tournent court et la mise au four problématique d’un poulet. Les plus indulgents trouveront peut-être dans El Syndrome des correspondances avec En attendant Godot, ou, plus près de nous, La Mélancolie des dragons de Philippe Quesne. Mais on peut comprendre ceux qui flairent le foutage de gueule. Oui mais Richard III ? Les corps, disions-nous : relâchés, enlaidis, à rebours de toute vitalité, et pourtant incontestablement présents, voire fascinants, parce que proches d’une vérité contraire à toutes les règles enseignées dans une école de théâtre. Ces mêmes règles que Lars Eidinger adore envoyer valser. Avec Sergio Boris, les jeunes comédiens bordelais n’ont sans doute pas tout à fait perdu leur temps.
René Solis
Richard III : spectacle en allemand (traduction de Marius von Mayenburg) surtitré en français (surtitrage : Uli Menke), jusqu’au samedi 18 juillet à 18h à l’Opéra d’Avignon. El Syndrome : spectacle en espagnol surtitré en français (pas d’autre précision disponible), jusqu’au samedi 11 juillet à 18h au gymnase du Lycée Saint-Joseph.
Photo de une: Richard III © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
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