Réseaux sociaux, blogs, téléphones mobiles… Je scrute nos couacs relationnels, nos dérives de comportements, nos tics de langage – toutes ces choses qui font que, parfois, je préfère me taire.
Il y a longtemps, quand le soir tombait, on s’installait devant « le petit écran ». Pour les digital natives et quelques autres, on parle ici de la télévision, qui fut durant quatre décennies, envisagée comme une fenêtre ouverte sur le monde avec ses une à six chaînes. On y découvrait La Vie des animaux dans les années 1950, les images en couleurs dans les années 1970, le soft du dimanche soir dans les eighties.
Dans des positions allant de l’assise digne dans un fauteuil club au vautrage sur matelas, on apprit sans douleur aucune à ne plus se lever pour patouiller le râteau qui servait d’antenne : patates de sofa, nous excellions d’un doigt à changer de chaîne sur la télécommande. Face à des programmes usés à force de rediffusions, notre inertie était totale. Au cœur de la nuit, alors que Christine Bravo se voulait impertinente et que les costumes de Laurent Cabrol achevaient de nous dégoûter du service public, nous en étions à regretter la fin des programmes avec le coucher du soleil.
Cinq minutes plus tard, on est tous 2.0, une tablette sur les genoux, un téléphone dans la main, CandyCrush à tous les étages. L’écran est devenu plus éternel que n’importe quel diamant, plus envoûtant aussi. Assise sur le canapé du salon, la nuit est tombée, et je m’interroge : qu’ai-je fait de ma soirée – moi qui ai accès à tous les films possibles via des dizaines de VOD, des séries formidables, des courts créatifs ? Qu’ai-je fait de ce full access dont on rêvait jadis ?
Je vais vous le dire (et vous comprendrez que je n’en suis pas fière). Sur Facebook, j’ai liké :
- le post de cousin Machin qui, à 56 ans, a décidé de s’inscrire au yoga ;
- les photos pornfood d’une copine en vacances à Rome ;
- une publication de Kris Kuksi Art que je n’ai pas lue (mais comme je connais l’artiste, hein, j’ai confiance…)
Toujours sur Facebook, je me suis indignée à propos des « cages pour migrants » ; d’une trumperie ; d’une analyse sur l’usage de nos data (je n’ai ouvert aucun de ces papiers). Comme au temps jadis, mon doigt cherchait une food for thought, quelque chose de distrayant, un petit quelque chose qui accrocherait mon attention. Lasse, Facebook était médiocre : comme jadis on abandonnait Antenne 2 pour la chaîne plus « jeune » de Berlusconi, je basculais sur Twitter. Scroll down, je déroulais de la news. Scroll down, le foot, tel festival, une pub Apple, une pub Microsoft. Autolib, Alexa, Alibaba. Je ne sais plus ce qui est pub, ce qui est news, je m’en moque, je scrolle, je tapote, je zappe. UneTelle « trop contente » de changer de job ; UnTel « amoureux » ; UnAutre « vegan mais pas sûr ».
Là, j’ai pensé à cette chronique, aux Guignols qui venaient de mourir. J’ai éteint les écrans, et croyez-le ou non, j’ai repris une activité normale.
Stéphanie Estournet
Je me tais et je vais vous dire pourquoi
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