Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
Une question taraude forcément les lecteurs de délibéré : qu’est-il advenu de François Fillon ? On le suppose généralement en retraite, et on a généralement raison, mais on se trompe non moins généralement sur le sens et la nature de cette retraite. Dans le cas présent, nous sommes aux antipodes d’une cessation d’activité. Non, François Fillon n’a pas renoncé à son ambition pour la France, non il n’a pas décidé d’assister sa femme Pénélope dans la confection des confitures. La retraite de l’ancien candidat à la magistrature suprême doit s’entendre au sens militaire du terme. Il s’agit non pas d’une capitulation en rase campagne – impensable pour un combattant de son propre aveu « balafré » et « au cuir solide – mais bien d’un repli tactique, en ordre, avec ses généraux, visant à préparer une nouvelle offensive depuis un bastion solide, imprenable.
Cette retraite combative, François Fillon l’a mûrement préparée avec son état-major, à partir de ses lectures, ou plutôt à partir d’un corpus mis à disposition par ses lieutenants : Henri de Castries et Marc Ladreit de Lacharrière, ses ex-futurs ministres principaux. L’affirmation a de quoi surprendre, tant le profil de ces deux nobliaux résignés aux affaires bourgeoises et aux préoccupations roturières semble loin des arts et des lettres. On pense en effet à tort que la présidence de la Revue des Deux Mondes occupée par le second de ces deux énarques hommes d’affaires n’est qu’une façade, un supplément d’âme ou une façon comme une autre de défiscaliser des biens mal acquis. Les mauvaises langues, qui ne manquent pas hélas, iraient même jusqu’à penser qu’en matière de fiction, cette revue servirait surtout à accorder des émoluments – à un taux bien supérieur à celui pratiqué par délibéré – aux épouses dans le besoin des amis du directeur, en échange de notes de lecture écrites à l’encre sympathique.
Fadaises que tout cela.
Cette position a été choisie de longue date pour sa valeur stratégique : pour l’accès qu’elle devait permettre en cas de repli, et pour les précieux renseignements militaires que recèle cette vénérable publication.
Allons droit au but, précisons ce qui se trame, car l’heure est grave. François Fillon, appuyé sur ses deux aides-de-camp, prépare la fondation d’une république pirate dans son fief sarthois de Sablé. L’affirmation a de quoi surprendre, mais la lecture de nos sources ne laisse guère de place au doute : l’affaire est minutieusement préparée, et la sécession de Sablé-sur Sarthe est imminente. Passons à l’examen des preuves, en l’occurrence le texte qui inspire directement cette future entrée en résistance du hobereau balafré et de son armada de flibustiers à particule.
En février 1903, un certain Henry de Castries publiait dans la Revue des Deux Mondes une étude assez complète sur Les corsaires de Salé. Il faudrait être particulièrement naïf pour n’y voir qu’un simple hasard : l’auteur de cette étude est un ascendant direct de Henri René Marie Augustin de La Croix de Castries, l’actuel pédégé d’AXA. Or le général – qui répondait au nom plus modeste de comte Henry Marie de la Croix de Castries -, officier de haut rang en Algérie puis au Maroc entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, a laissé d’importantes connaissances sur l’Afrique du Nord, notamment en matière de cartographie et d’histoire, deux disciplines essentielles pour mettre au point une stratégie de défense. Et c’est donc cette étude publiée dans la Revue des Deux Mondes, publication, faut-il le rappeler, opportunément acquise par Marc Ladreit de Lacharrière – là encore tout coïncidence est exclue – qui définit la doctrine militaire que suivront les forbans de la future république de Sablé.
Qu’est-ce que la République de Salé ? Les commentateurs, opinologues et autres analystes qui occupent en ce moment l’ensemble de l’espace médiatique, seraient bien inspirés de s’intéresser à cette expérience politico-militaire injustement oubliée. Également connue sous le nom de République du Bouregreg, elle comprenait la citadelle de Salé et l’ancienne Rabat. Cette enclave côtière de la côté marocaine à forte plus-value commerciale a connu son heure de gloire au XVIIe siècle lorsque, sous l’impulsion des Morisques bannis d’Espagne et de toute sorte de renégats en rupture de ban, elle se transforma en véritable nid de pirates barbaresques indépendant, s’adonnant au rançonnage des navires chrétiens et au pillage des côtes atlantiques de l’Europe occidentale, depuis le Portugal jusqu’à l’Islande. De très nombreux captifs chrétiens y ont été reclus en l’attente du paiement de la rançon qui les libèrerait, Robinson Crusoé en étant l’exemple littéraire le plus connu.
Certes, la république de Sablé aurait une projection maritime moins importante que son modèle africain, mais le cours du Loir, de la Sarthe et de l’Huisne offrent tout de même de bonnes possibilités de razzias dans le Loir-et-Cher ou en Mayenne. Tout est prêt pour que la forteresse de Solesmes constitue le diwân de l’émirat rebelle. Abou Fillon al Sarthaoui et ses raïs disposeraient ainsi d’une base d’opération idéale pour exiger un tribut aux villes et aux départements voisins tout comme leurs ancêtres salétins étaient parvenus à le faire avec succès auprès des royaumes chrétiens.
Les plus sceptiques objecteront peut-être que cette vision séparatiste et renégate s’accorde mal avec le récit national d’une France chrétienne éternelle, une et indivisible, vendu il y a peu par le candidat déchu. Là encore, les lectures du futur écumeur cimeterre au clair de la campagne sarthoise sont particulièrement éclairantes. Dès l’incise de son étude, le comte de Castries précisait que « lorsque dans les cercles politiques on entend parler avec chaleur et avec une touchante sollicitude de la nécessité de respecter l’intégrité d’un État, on peut tenir pour certain que chacun escompte déjà la chance de son démembrement […] » (p. 823). En ce qui concerne la rupture avec la foi professée par le candidat tombé en disgrâce, elle ne devrait pas non plus constituer un obstacle insurmontable. Il est permis de penser que le futur émir trouverait sans trop de problème un certain nombre d’« accommodements avec le ciel », pour citer une de ses principales sources d’inspiration (Molière, Tartuffe, Acte IV, scène 5).
Enfin, un dernier élément aura forcément été pris en compte par les stratèges de Sablé dans son précédent marocain privé de L : la république pirate avait vu ses troupes grossies par l’apport de renégats venus de tous horizons. Son principal amiral, Jan Janszoon, était hollandais. Il avait assuré la prospérité de sa patrie d’accueil en naviguant systématiquement sous faux pavillon, au gré des circonstances et des changements de conjoncture. De quoi ouvrir bien des perspectives et assurer, à terme, le succès de l’entreprise.
Christophe Giudicelli
Ordonnances littéraires
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