Exploratory Movement (2017) de Inma Herrera
Comment écrit-on un texte ? Comment imprime-t-on un livre ? Comment apparaissent, disparaissent et réapparaissent les mots ? Comment fait-on attention aux « choses » ? Toutes questions contenues dans Exploratory Movement (2017) de Inma Herrera, où l’appareil à voir, la machine qui voit, est témoin d’actions plus que d’histoires : une performance graphique, un exercice matériel et textuel, l’attention portée aux mots, la dimension physique du processus de fabrication de l’art et de l’écriture, le contact du corps de l’artiste avec la matière, avec cette « chose » qui la nourrit, la chose crue qui construit l’œuvre d’art.
Ces dix minutes composent un film « paradoxal » qui essaie de montrer ce que l’on ne voit pas, de rendre visible l’invisible : elles exigent de la patience pour réapprendre à lire, pour que la lecture devienne tangible, pour retrouver la compréhension. Il s’agit aussi d’un travail littéral et philosophique, parce qu’il donne corps à une idée, qu’il transforme en action et en mouvement les mots et les pensées du philosophe français Maurice Merleau-Ponty [1]. Inma Herrera assume l’intelligence, la force et aussi, pourquoi pas, la tendresse du média– tendresse au sens de capacité de prêter attention- à partir duquel elle réfléchit. Le média en question ce sont les arts graphiques, où se mêlent, sans prétextes, images et mots, lignes, taches et temps. Une idée mise en action, non pas comme une pièce terminée, mais comme un work in progress.
Pour y parvenir, Inma Herrera s’empare des outils des arts graphiques et nous montre comment « l’attention » fait œuvre dans un mouvement exploratoire qui pourrait être celui qui s’opère tous les jours dans une cuisine. Dans une interview à la Radio Télévision espagnole, la philosophe María Zambrano déclarait : « la première chose que l’on peut faire à Rome, c’est donner à manger ». C’est sur ce terrain de l’attention, du mouvement qui fait, pense et prend soin, qu’opère le travail de Inma que j’ai par hasard rencontrée à Rome, entre une cuisine et un atelier.
Parmi les antécédents filmiques qui jouent avec le processus pictural, on peut citer Le Mystère Picasso de Clouzot, Le Songe de la lumière de Victor Erice, et aussi une œuvre expérimentale de Carlos Castillo, Ciudad vs arte. Dans ces films, la surface de l’image filmée se transforme petit à petit et de façon assumée en lieu de la peinture. C’est dans cette même ligne que Inma Herrera nous apprend, à travers un processus graphique et physique, comment une idée se « dévoile ». Le travail sur le matériau crée tout au long du film différents registres de « peintures » passagères et changeantes qui renvoient, aussi, à l’«édition » et à l’impression : enlever, rajouter, tacher et nettoyer pour remplir les espaces vides.
Une action qui revendique les arts graphiques comme forme vivante, comme langage et écriture, comme esprit contemporain qui se promène dans un passé de livres et de reproductions, d’anatomies et de lettres, sans préjugé et sans jugement ; qui se déplace avec adresse entre la pensée, les mots, le texte, le dessin, la peinture, la science et la nature.
Dans la logique actuelle, qui a annoncé une quantité innombrable de fois la mort du livre et a ressuscité tout aussi souvent dieu sous différentes formes, Inma Herrera s’attache à un métier et un art qui s’exécute avec le corps, l’intellect et le cœur, avec le soin et l’attention que le palpable et le vivant méritent.
Nous pourrions conclure par des questions sur l’action à laquelle nous assistons : nettoyage, peinture, écriture, pensée, rendez-vous, attention, traduction ? On dirait que l’encre en mouvement agit de la même façon que « la lumière dessine la configuration d’une surface visible ».
Ángela Bonadies
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