La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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François Garde, pour ceux qui se lèvent, à Sarcelles ou même ailleurs
| 24 Oct 2016

Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.

Aux États-Unis, Trump multiplie les déclarations xénophobes, misogynes ou tout simplement stupides. En France, rapporte Sud Ouest, Ménard affiche en toute impunité dans sa ville des affiches appelant clairement à la haine. Sarkozy, après avoir déclaré “Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois”, s’inquiète de voir la France submergée” par les migrants [1]. Les élus du Front national ont voulu faire adopter une motion intitulée ma commune sans migrants”. Un Laurent Wauquiez est fier de déclarer Je suis contre l’accueil des migrants dans notre région et je ne l’accompagnerai pas” [2]. A Forges-les-Bains (village de 3 700 habitants à une trentaine de kilomètres au sud de Paris), un futur foyer pour migrants est incendié et 250 personnes manifestent contre leur arrivée. A Paris, dans le XVIème arrondissement, on tente aussi d’incendier le futur centre pour SDF (Pas de jungle comme Calais au Bois de Boulogne” lisait-on sur les tracts distribués par les opposants à ce projet il y a quelques mois). En Allemagne, raconte Le Point, le vocabulaire nazi revient en force.

La France, avec le reste du monde, s’enfonce dans l’hostilité et la peur.

Face à cela, des jeunes de Sarcelles ont décidé, à leur échelle, de réagir, avec courage et générosité. Ils ont entendu les discours de rejet, ils ont vu les images de ces gens jetés sur les trottoirs parisiens, en plein XXIème siècle, affamés, bousculés, ignorés. Ils ont donné un peu de leur poche et ils se sont mis à cuisiner. Cent cinquante repas et sandwiches. Dans une vidéo, on les voit s’affairer, remplir des assiettes en carton, les envelopper de papier alu, ajouter une bouteille d’eau, refermer les sacs, porter le tout dans plusieurs voitures, rouler jusqu’à Stalingrad puis Porte de la Chapelle, distribuer le tout aux hommes et aux femmes présents. Et lancer un défi. Aux autres quartiers de banlieue. Leur page Facebook s’appelle ainsi, Le grand défi, et elle invite les uns et les autres à faire de même. Le quartier nommé doit relever le défi, et nommer à son tour un quartier” explique l’un des participants. Les Sablons, premier quartier nommé, a relevé le défi et, à son tour, a distribué 300 repas. Avant de nommer à son tour un autre quartier de Sarcelles. Ces gens-là, ainsi que d’autres, encouragés par leur exemple, dans l’Essonne, les Yvelines, à Toulouse, dans certains arrondissement de Paris et sans doute ailleurs, se sont levés face à l’abomination. Ils ont réagi, concrètement, ils ont pris les choses en main. Ils se sont dressés contre l’insupportable.

francois-garde-leffroiSe lever. C’est ce que fait le protagoniste du roman de François Garde, L’effroi (Gallimard) qui vient de paraître. Il est musicien, altiste, à l’Opéra de Paris. Un soir de gala, Sébastien Armant s’apprête, comme ses collègues, à jouer Così fan tutte sous la direction d’un chef d’orchestre prestigieux. Et soudain, l’impensable a lieu. Le chef, debout, fait le salut nazi, ce salut de malédiction, que je croyais enfoui pour toujours dans les livres d’histoire”. Stupeur. “Ce soir-là, pour la première fois depuis 1944, le salut nazi a retenti à l’Opéra de Paris.”

Jouer comme de rien n’était ma partie d’alto dans l’ouverture de Così fan tutte m’était devenu impossible.

Alors je me suis levé.”

Tout part de là. D’un musicien qui se lève et qui tourne le dos au chef d’orchestre. Et qui, très vite, est imité par tout l’orchestre, les chœurs et les solistes puis par l’ensemble de la salle. Debout, nous restâmes immobiles, afin de ne plus subir le geste que Louis Craon voulait nous imposer.

Un homme, un seul, arrête le cours des choses. Et le chef, renié, désormais seul face à des centaines de dos, quitte la salle.

La suite sera difficile, car la vie de celui qui est devenu un symbole va devenir incontrôlable, pénible, et les intérêts des uns et des autres reprennent vite le dessus.

Mais l’homme a dit non.

Et c’est ce qu’ont fait les jeunes de Sarcelles qui ont décidé de nourrir des hommes et des femmes à qui la société dénie toute dignité. Et c’est ce que feront, peut-être, ceux qui auront à cœur de relever leur défi, contre vents et marrées et discours haineux et tempête xénophobe.

Alors, cap ? Pas cap ?

Nathalie Peyrebonne
Ordonnances littéraires

[1] La question est d’éviter que la France ait des frontières qui soient des passoires et qu’on se trouve submergé”.

[2] Comble de l’ironie : la mère du trublion Wauquiez est maire du Chambon-sur-Lignon, village qui s’est illustré par son accueil courageux des Juifs dans les années 1940, et tente, discrètement, de perpétuer cette tradition du village des justes”. À lire à ce sujet un article du Nouvel Obs.

François Garde, L’effroi, Gallimard, collection Blanche, 2016

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