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Patrice Kirchhofer, mort d’un cinéaste radical
| 05 Sep 2019

Patrice KirchhoferPatrice Kirchhofer, un des cinéastes français les plus singuliers, est mort le 20 août dernier, quatre mois après la disparition de Dominique Noguez, l’écrivain et spécialiste du cinéma expérimental qui était son ami depuis leur rencontre dans un train en 1973 [1]. Noguez figure dans plusieurs films de Kirchhofer : Sensitométrie III (1975), Densité optique I (1977), Pour un temps (1984) et s’était assuré sa collaboration comme chef opérateur dans Tosca (1978). Le critique résume ainsi son travail : « Patrice Kirchhofer avait réalisé, dès 1973, avec les séries des Sensitométries et Chromaticités, des films d’une radicalité plastique pionnière en France que l’on ne retrouve que chez les membres de la Paris Films Coop. Mais Kirchhofer n’était l’élève ni le disciple de personne. »

Nous l’avions connu à l’époque où il avait créé la Coopérative des Cinéastes, après sa scission avec le Collectif Jeune Cinéma (pour des raisons qui nous demeurent obscures !) et avions assisté à quelques réunions animées par Gérard Courant et lui au 42, rue de l’Ouest. Nous fréquentions aussi celles du Collectif Jeune Cinéma, qui avaient lieu dans la cave de la librairie La Guilde, au 61, rue Quincampoix, sous la houlette de Marcel Mazé, Claude Brunel et Jean-Paul Dupuis. Après avoir dirigé le fanzine Cinéma différent, devenu rapidement revue puis organe officiel du Collectif, Kirchhofer avait quitté ses fonctions à partir du numéro 5-6, l’été de la canicule (1976). Outre la vingtaine de films qu’il a réalisés actuellement diffusés par Light Cone, il a fait l’image de plusieurs bandes signées Louis Skorecki. Ce dernier a qualifié le style de Kirchhofer d’« art du cauchemar » fait de « surimpression, animation, diapositives, musiques ralenties, déformées, logique sérielle poussée dans ses derniers retranchements. » [2]

Cette notion de sérialité, au sens musical du terme, caractérise en effet l’œuvre du réalisateur, y compris lorsque ses opus sont muets – ou, comme préfèrent l’écrire les anglo-saxons, « silencieux ». C’est d’ailleurs ce que résume Nicole Brenez, en voix off, dans le treize minutes consenti par la chaîne culturelle de la télévision publique à cet artiste d’exception : « Il a complètement refondé la syntaxe en restituant au filmique les ressources rythmiques et visuelles de l’intermittence comme si le cinéma claudiquait sur une seule jambe, la jambe du continu. » [3] Parti du travail de bénédictin, d’une activité solitaire, en chambre, proche des animations fantastiques et expressionnistes à la Patrick Bokanowski, Kirchhofer a bifurqué vers l’abstraction, sans la pousser jusqu’au cinéma structurel d’un Peter Kubelka.

On a toujours en tête ses scansions irrégulières, ses sons industriels, ses boucles étranges et autres amorces d’actions sans objet véritable. On garde en mémoire la silhouette fantomatique de Noguez montant l’escalier sans fin menant à son appartement de la rue de Seine.

Patrice Kirchhofer, Sensitométrie III (1975) Dominique Noguez montant l’escalier sans fin menant à son appartement de la rue de Seine.  Patrice Kirchhofer, Sensitométrie III (1975) Dominique Noguez montant l’escalier sans fin menant à son appartement de la rue de Seine.
Patrice Kirchhofer, Sensitométrie III (1975) Dominique Noguez montant l’escalier sans fin menant à son appartement de la rue de Seine.  Patrice Kirchhofer, Sensitométrie III (1975) Dominique Noguez montant l’escalier sans fin menant à son appartement de la rue de Seine.

Un hommage au cinéaste, organisé par Gisèle Rapp-Meichler, Light Cone, ses amis et ses proches, aura lieu mardi 10 septembre 2019 à 20h30 au Luminor Hôtel de Ville. Y seront projetés, entre autres, trois films rarissimes, Rémanence I, Hors titre I et Ataraxie I.

 

[1] Dans Éloge du cinéma expérimental, Dominique Noguez rappelle avoir fait la connaissance du « cinéaste hors pair » devenu par la suite un « ami sincère » dans le train les menant au festival du film d’animation d’Annecy, peu de temps après « l’investissement du cinéaste dans le destin du Collectif Jeune cinéma » fondé en 1971 par Marcel Mazé, administré à cette époque par des personnalités comme Raphaël Bassan, Noël Burch et Luc Moullet.

[2] Libération, 29 juin 2001.

[3] Court circuit n° 276, 2006.

 

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