C’est un passage d’une minute à peine, qui figure dans le troisième volet du documentaire prochainement diffusé par Arte, consacré au KGB en ses divers états, de la Tcheka au FSB d’aujourd’hui, en passant par la Guépéou, le NKVD ou le MVD. On y voit Vladimir Poutine, alors en passe de devenir président pour la première fois, s’adresser à un parterre de Kgbistes réunis à la Loubianka. « Chers camarades, je vous informe que le groupe d’agents que vous avez chargé d’infiltrer le gouvernement a accompli la première partie de sa mission… »
On a alors pensé à un trait d’humour, mais, quatre présidences plus tard, on sait que Poutine n’est pas un blagueur, on constate que de l’économie à la censure des livres scolaires (lire ici), ses camarades, de Dresde ou Saint-Pétersbourg, sont aux manettes.
Et tel est bien le propos de Jamie Doran, documentariste et ancien producteur à la BBC. Le sabre et le bouclier tient du documentaire de combat. Vrai que la Grande-Bretagne, de Litvinenko empoisonné au polonium, en suicide suspect de l’oligarque Berezovsky, et jusqu’au Novitchok de l’affaire Skripal, a de quoi s’irriter : la Russie a tendance à venir y régler ses comptes sans aucune forme de procès.
Le glaive et le bouclier : tel était le titre d’un film des années 60 qui emballa l’ado Poutine, où un espion flanquait à bas le nazisme, et le précipita au plus proche KGB, où on lui conseilla de revenir quand il serait plus grand. Ce qu’il fit. Et, en 2006, il créa un prix dévolu au film qui mettrait le mieux en valeur le travail des organes, de « façon objective ». C’est fichu pour Jamie Doran.
Néanmoins, ce qui vaut pour aujourd’hui ne vaut pas forcément pour hier (ah, cet impossible passé russe…) et les films, surtout les deux premiers, censés couvrir la naissance de la Tcheka pendant la guerre civile (à peine mentionnée), et la grande période des purges NKVD (survolée) n’éclaireront pas ceux qui sont brouillés avec les acronymes ou la chronologie. Des images identiques, non sourcées, réapparaissent ici et là, sans même mentionner les scènes jouées, toujours superflues. Et pour qui connaît un peu l’histoire soviétique, la démonstration tourne court : pour avoir été hélas redoutables, les différentes formes de la police secrète n’avaient pas alors le pouvoir, elle le servaient.
Pourtant, faut-il jeter le bouclier avec le glaive ? Que non, si son propos est embrouillé, Jamie Doran a réuni (et parfois depuis longtemps, il a déjà travaillé sur le sujet) de rares témoignages. Le temps passant, les rescapés du Goulag stalinien se font rares. Reste l’émouvante Vera Golubeva, 99 ans, embarquée pour 8 ans à cause d’une blague innocente (et qui se souvient de son enfant mort-né en prison).
Reste la parole de ces ex-Kgbistes, aux visages fatigués, retraités ou en rupture et exil. Aucun d’entre eux n’a travaillé sous Staline, mais un seul, unique, qualifiera les purges d’« erreur ». Pas de faute. C’est plutôt sur l’histoire contemporaine (l’efficacité de Beria, en matière d’espionnage côté nazis ou Américains, les dessous de l’affaire de la baie des Cochons) ou sur l’histoire récente (les 250 000 paires de menottes, 300 000 mandats d’arrêt préparés par le KGB lors de la tentative avortée de putsch sous Gorbatchev, tandis que certains agents, touchés par la grâce démocratique, refusaient de prêter la main) que le documentaire est passionnant. Même si les interviewés sont souvent plus prolixes sur les équilibres internationaux que la bête répression.
Bien sûr, aucun des ex-FSB actuellement aux affaires ne parle. L’ancienne devise du KGB, « Loyauté au Parti, loyauté à la patrie » n’a plus cours. Mais la loi du silence, qui est aussi celle des affaires, si.
Dominique Conil
Documentaire
Le sabre et le bouclier, de Jamie Doran, Arte. Trois épisodes de 52 minutes à partir du 9 avril.
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