Un cavalier, qui surgit hors de la nuit
Court vers l’aventure au galop
Son nom, il le signe à la pointe de l’épée
D’un Z qui veut dire Zorro…
À un détail près : ça veut dire quoi, Zorro ?
Zorro, Zorro
Renard rusé qui fait sa loi
Ah, merci. Il faut dire que Zorro, ça a de la gueule. Imaginez un peu :
Son nom, il le signe, à la pointe de l’épée
D’un R qui veut dire Renard…
Renard, Renard
Tandis que Zorro, Zorro… Mais qui a eu la bonne idée de ne pas traduire ? Et y a-t-il une règle (à enfreindre, forcément) en matière de traduction des noms propres ? En fait, la pratique diffère selon les pays, les époques, les traducteurs et les cas qui se présentent. Mais l’enjeu est important, comme le souligne Ryoko Sekiguchi dans l’excellente revue Vacarme : « Les noms propres, c’est en général ce qui demeure dans le texte traduit comme le seul témoin du lieu de départ, l’ombre partielle du texte original qui le hante. Ils peuvent se déplacer tels quels au cours de sa transplantation d’une langue à l’autre. » [1]
Petite précision : Zorro est déjà un emprunt à l’espagnol dans l’original de Johnston McCulley, The Curse of Capistrano (1919). « Is it my fate always to hear that name ? Senor Zorro, eh ? Mr. Fox, in other words ! », s’y écrie le sergent Pedro Gonzales, qui chez Disney sera substitué par le sergent Garcia. Et, paradoxe, ce sont les Espagnols qui ont traduit ce surnom très espagnol : Zorro, la face cachée de don Diego de la Vega, se dit en espagnol El Zorro (l’article a son importance). À ne pas confondre avec zorro tout court, qui désigne non pas un héros masqué mais un animal à la fourrure prisée… ou une salope, si on le décline au féminin : zorra.
Zorro, c’est le fantôme de cette Californie qui fut mexicaine (dans le roman de Johnston McCulley) ou espagnole (dans l’adaptation télévisuelle qu’en firent les studios Disney), sur ce continent qu’un jour découvrit Christophe Colomb, ou Cristóbal Colón, ou Cristoforo Colombo. Car il est coutume de traduire (de s’approprier ?) les prénoms et plus si affinités de ceux et celles qui ont fait l’histoire, notamment des souverains (Charles Quint, Élisabeth d’Angleterre, François-Joseph d’Autriche…), sans parler des pseudos des pontifes (Grégoire, Clément, François, Jean-Paul, Benoît et on en passe). Et l’appropriation devient la règle quand il s’agit de transcrire (et non de translittérer) les noms propres d’un système d’écriture à un autre. Ainsi Антон Чехов devient-il en français Anton Tchekhov, en anglais Anton Chekhov et en espagnol Antón Chéjov, pour ne citer que trois variations.
« L’absence de nom propre dans un texte fait du poème un véhicule de circulation plus aisée à travers les langues, écrit encore Ryoko Sekiguchi. En même temps, paradoxalement, l’abondance de noms propres ne fait-elle pas du poème quelque chose d’universel ? Un poème composé aux trois quarts de noms propres, s’il lui arrive d’être traduit dans une vingtaine de langues, restera-t-il beaucoup plus semblable à lui-même que les autres poèmes, disons “normaux” ? Ou deviendra-t-il quelque chose de complètement illisible ? » Autant de questions fort pertinentes car le choix de traduire ou non les noms propres n’est pas évident, à bien y réfléchir. Et voilà qui poserait problème aux éventuels traducteurs de l’Abécédaire de Pierre Teboul. R comme Raymond Roussel. Soit. Mais Raoul, René et Robert Ripolin vaudront peut-être bien une adaptation… du texte et de l’image ? De même, à la lettre F, quand « Fernand fouette Fanny sur les fesses »…
délibéré publie cette semaine la dernière lettre de cet abécédaire : Z comme Zorro. Du pain bénit pour les traducteurs. Et « Zorro vit dans un ziggourat » ? Fastoche. « Zorro lives in a ziggurat », of course. « Zorro vive en un zigurat », pour les Ibères. Sauf que dans « habite », il y a… Et la version pour adultes de l’abécédaire en question file la… hum, non, pas vraiment une métaphore : « la zigounette de Zorro ». Échec et mat.
Zorro, Zorro
Vainqueur, tu l’es à chaque fois
Christilla Vasserot
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