On savait qu’il serait le commissaire de la biennale de Venise 2016, de juin à novembre. Et voici qu’en plus cette même année il est récompensé par le 41e Prizker Prize, sorte de Nobel de l’architecture, qui lui sera remis le 4 avril par la fondation américaine Hyatt, au siège de l’ONU à New York. Coup double, donc, pour Alejandro Aravena, “jeune” concepteur chilien de 48 ans. De l’inattendu réjouissant et rajeunissant pour ce successeur des architectes latino-américains célèbres – le Brésilien Oscar Niemeyer et le Mexicain Luis Barragán. Précisons que ce jeune loup faisait parti du jury du Pritzker, il a su positionner son ascension. En 2008, il avait déjà gagné le Lion d’argent de la Biennale de Venise, “architecte le plus prometteur”.
Ce fondateur de l’agence Elemental de Santiago est déjà auréolé d’une image de bâtisseur social et de beau gosse à l’humour séducteur. Il se bat pour protéger l’environnement, pour lutter contre les effets des catastrophes naturelles. Surtout, il construit pour améliorer la vie des plus pauvres, pour casser “le cercle vicieux de l’inégalité”. Il l’a prouvé, avec ses fameuses demi-maisons, imaginées pour la ville d’Iquique, dans le désert chilien, en 2004 où il a contribué à résorber un bidonville de cent familles, avec les futurs habitants, dans une démarche collaborative. Il a proposé à ces ex-squatteurs de leur construire la moitié d’une habitation de qualité ; à eux de prendre en charge les finitions, et de bâtir eux-mêmes une seconde moitié de la maison. Ce qui a bien fonctionné. Si Aravena n’est pas encore très connu en Europe, on a pu toutefois voir ce projet à l’exposition “Réenchanter le monde”, en 2014, à la Cité de l’architecture de Paris. Une pratique généreuse et vivante, très observée, à méditer. Et récompensée (encore ?) par le Global Award for Sustainable Architecture de 2008 à Paris.
Né en 1967 à Santiago, diplômé de l’Université catholique en 1992, Aravena ne pratique pas une architecture standard, il trouve absurde les bâtiments vitrés qui se transforment en serres invivables dans le climat dans son pays. Il ne produit pas les édifices stars et communicants de la planète. Il n’est pas pour autant un adepte de l’arte povera, mais plutôt d’une architecture de qualité, assez élémentaire et esthétique. Exemple : le Centre d’innovation de l’université Catholique du Chili (2014), un volume en béton, protecteur et bien dessiné, capable de réduire la consommation énergétique. Il a aussi élevé les tours siamoises de cette même université (2005), son école d’architecture (2004), sa faculté de médecine (2004) et celle de mathématiques (1999). Il conçoit des bureaux à Shanghai pour le groupe pharmaceutique suisse Novartis. Il s’est avéré un acteur particulièrement engagé lors de la reconstruction de la ville chilienne de Concepción, victime en 2010 d’un séisme dévastateur.
Aravena est-il un participationniste béat ? Non, il engage sa “responsabilité”. Dans la revue chilienne Capital (3 octobre 2014), il expliquait : “Un expert, selon Italo Calvino, est quelqu’un qui, dans un champ déterminé, sait dire tout ce qu’il ne faut pas faire. Un responsable, à l’inverse, assume le risque de dire ce qu’il faut faire… Toutefois, une consultation donne forme à un rapport qui, bien souvent, complexifie le problème au lieu de le synthétiser. Le modèle, alors, serait de passer de la consultation à la responsabilité.” (cité par Le Courrier de l’architecte).
Aravena restera-t-il une anti-star ? Fera-t-il école, sur tous les continents ? Il a des cousins dans le monde, Diébédo Francis Keré au Burkina Faso, le studio Mumbai en Inde, Wang Shu en Chine, Patrick Bouchain en France et d’autres… Cette année, il jouit d’une grande tribune. À lui de jouer avec son exposition, à Venise, et ses propositions qui entendent donner des “Nouvelles du front”.
Anne-Marie Fèvre
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