La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Chaumont, le graphisme en marchant
| 31 Mai 2017

Tout a bien changé quand on arrive à Chaumont, en Haute-Marne. La gare et ses alentours réaménagés, de passerelle en jardins, débouchent immédiatement sur le grand cinéma À l’Affiche conçu par Alberto Cattani, et sur le très beau Signe, centre national de graphisme, réalisé par Alain Moatti, inauguré le 8 octobre 2016. Cet ensemble culturel offre une vision contemporaine rare dans une petite ville rurale, dont on perçoit les collines boisées au loin.

La nouvelle Place des Arts relie ces bâtiments, elle peut accueillir diverses animations, concerts, buvettes. C’est dans cette nouvelle disposition urbaine, à deux pas du centre de ville, que se déroule la première biennale de design graphique depuis le 13 mai. Une renaissance ? Après quelques années où le festival n’était plus lisible sur la ville, ni en France, le graphiste Vincent Perrottet, chargé de mission, les équipes respectives de la ville et du Signe, Malte Martin avec l’association Chaumont design graphique se sont démenés, armés de conviction, pour reconstruire une manifestation encore tâtonnante. Avec un bel outil architectural et urbain mais sans grands moyens financiers.

Pas de rupture totale avec le passé. Sur les traces de l’ancien festival d’affiche, le concours international de posters culturels d’auteurs (26e) a été maintenu. Au Signe, l’exposition conçue par le duo Helmo explose de tous les styles, couleurs et vocabulaires venus du monde entier. La scénographie de Jean Schneider confronte de manière dense 150 œuvres subjectives. Elles chantent le théâtre, la musique, les musées, tous les arts. C’est le Suisse Ralph Schraivogel, né en 1960 à Lucerne, qui a obtenu le premier prix. Son travail pour le Museum für Gestaltung de Zürich (2016) est un chaos bien rangé, où il joue du constraste entre une typographie très épurée et des textures visuelles complexes.

Ralph Schraivogel, 1er prix du concours d'affiches à Chaumont

© Ralph Schraivogel

Le Français Pierre Vanni (né en 1983), deuxième prix, est récompensé pour le visuel des Siestes électroniques du Festival des musiques aventureuses de Toulouse (2016). Il a dessiné le mot LOVE, « triste et violent dans son graphisme mais résolument positif et fédérateur par son message », explique-t-il. Le Néerlandais Richard Niessen (né en 1972, à Edam-Volendam), troisième prix, célèbre The Palace of Typographic Masonry d’Amsterdam (2015), avec une suite de constellations de signes, de symboles et d’ornements. Toutes ces affiches vont compléter le fonds déjà riche et pédagogique de Chaumont, qui reflète la diversité des techniques d’impression.

Les siestes électroniques. Affiche de Pierre Vanni

© Pierre Vanni

Le populaire concours étudiant, « Tous à Chaumont », lui, a complètement muté, abandonnant les affiches. Avec 34 projets, il est ouvert à toutes les formes du graphisme, du numérique aux objets, avec des transferts entre virtuel et réel. La designer Lucile Bataille l’a conçu pour « Faire Signe » sur le thème de la transmission des savoirs. Pour expérimenter de nouveaux outils de lecture, des jeux drôles et éducatifs avec les mots, interactifs, réunis autour d’une table, que l’on peut tester. Le premier prix est revenu à l’étudiante néerlandaise Anastasia Kubrac, pour le jeu Reality Miners.

Anastasia Kubrac, “Reality Miners”, premier prix du concours étudiant du concours étudiant “Tous à Chaumont” © Richard Pelletier

Anastasia Kubrac, “Reality Miners” © Richard Pelletier

Les affiches, les jeux d’étudiants montrent à quel point on peut se régaler avec ces narrations évidentes ou mystérieuses, sans chercher à les décrypter. Mais une initiation de l’œil est indispensable pour plonger dans de doubles lectures, pointer des références plus riches. Le graphisme a une histoire, c’est le rôle du Signe de la dévoiler.

On aura bien des analyses et des décryptages dans l’exposition « Cartographie de la recherche en design graphique », imaginée par Malte Martin et Vivien Philizot. Dans cet instantané des travaux de recherche en émergence en France, on rappelle que « le design graphique est toujours au sujet d’autre chose que le design graphique ». Il n’existe pas en soi, n’est pas qu’un art décoratif, il transmet du savoir, des informations, des messages. Engagé, on le retrouve partout, au service de la culture, de l’histoire, des sciences, de la politique, de l’économie, du social, de la presse, de la géographie, de la santé… Dans chaque domaine, cette discipline prouve qu’elle a des corps et des codes différents, avec des typographies incarnées. Elle convoque l’alphabet, la sémiologie, la photographie, l’informatique, la tactilité… « Quelle place pour le design dans une économie de la transition et du souci écologique » ou « comment le design graphique peut-il organiser le passage de l’’analogique au numérique ? » : voici deux questions qui irriguent ce premier paysage riche d’investigations. Qui étaye avec force les premiers pas du Signe.

“Cartographie de la recherche en design graphique”. Commissaires d’exposition: Malte Martin, Vivien Philizot. Photo © Richard Pelletier

Cartographie de la recherche en design graphique © Richard Pelletier

Aux Silos, on verra l’exercice typographique Pangramme. À Textil, on plongera dans les résultats collaboratifs des workshops ; on y remarque le travail « Être français » de co-écriture mené par l’écrivain Michel Séonnet et le collectif Fabrication Maison avec des habitants, des immigrés, de Chaumont et de Nice. Une exploration qui illustre le credo de Vincent Perrottet : « Un grand Signe pour un regard citoyen ». En ville on pistera les transformateurs électriques restaurés, installations urbaines pérennes décorées de couleurs et de signes par le studio néerlandais Raw Color, en partenariat avec la société Enedis.

Alphabet, Bold & Triangle, Installation permanente dans la ville, par le studio Raw Color (Daniera ter Haar & Christoph Brach). Photo © Richard Pelletier

Alphabet, Bold & Triangle, par Raw Color © Richard Pelletier

Et à la buvette de la Place des Arts, on aura les mêmes débats récurrents. Il y a toujours ceux qui se demandent toujours pourquoi ce Centre national du graphisme est venu s’encastrer à Chaumont, pourquoi il ne « remonte » pas à Paris où il aurait plus de répercussions. Les décentralisateurs défendent mordicus la filiation avec le premier festival d’affiches créé en 1990, appuyé sur le fonds Dutailly de 5 000 affiches du XIXe siècle. Et défendent une cité sinistrée et enclavée qui a bien besoin de cet outil à la fois culturel et économique. Et il y a des habitants qui ne se sont pas rendu compte qu’il y avait une biennale. En rester là ?

Une longue table ronde réunie au cinéma, un peu fastidieuse, a égrené bien des sujets « pour cultiver le design graphique en France ». Le Signe a informé, listé ses missions menées toute l’année. C’est fait, son nouveau statut juridique de Groupement d’intérêt public est mis en place, porté par la ville, la Région Grand Est, l’État, le département, l’Europe, le mécénat et ses ressources propres. Avec un budget toujours très serré de 1,5 millions d’euros. L’association Chaumont design graphique poursuit parallèlement son travail d’ancrage dans la ville. Beaucoup d’actions, de médiations sont déjà menées, de la conservation de la collection aux ateliers participatifs très fréquentés par les enfants, du centre de ressource en constitution à la recherche. Mais comment rendre visible, actif, reconnu et formateur le graphisme en France, comment le transmettre ? Quel rôle peut jouer le Signe, qui dispose de peu de moyens !

Car il existe aussi d’autres lieux actifs dans l’Hexagone, dévoués à la discipline : les Rencontres internationales de Lure, le mois du graphisme d’Echirolles qui dispose aussi d’un centre, la Saison graphique du Havre, des expositions menées à Toulouse, à Paris, au Centre Pompidou, aux Arts Décoratifs, à la Bibliothèque nationale… Tout cela est bien écartelé. Sans compter le nombre considérable de graphistes formés en France. Le mérite de Chaumont est d’avoir réuni certains de ces acteurs. Et si toutes ces manifestations, sans concurrence, en gardant leur identité, se réunissaient en réseau, en plate-forme pour échanger expositions et explorations, pour mieux rebondir à Paris ou ailleurs, lors d’un festival commun ? Ces pistes ont été esquissées. Les responsables du ministère de la Culture présents ont un beau chantier à développer. Donner à la fois un coup de pouce financier, mais surtout un élan culturel et pédagogique.

Biennale de design graphique à Chaumont © Formes VivesOn quitte Chaumont en jetant un dernier regard aux meules de foin signalétiques conçues par Formes Vives, et surtout à leur affiche officielle de la biennale. C’est un rébus coloré. Qu’en disent-leurs auteurs, Nicolas Filloque, Adrien Zammit & Geoffroy Pithon ? « Cette affiche, c’est un peu comme l’instantané d’un repas entre amis… ll y a une table blanche, comme un début. Un âne partage ses carottes ou bien est-ce l’inverse… Un ou des monstres, des humains, des taches, des traces, des objets, des formes incertaines… Que va-t-il va se jouer là, se perdre, se trouver, se chercher?Merde aux injonctions, aux propagandes, à la dialectique et à la sémiologie. » Ils n’en savent trop rien au final… Cette lecture laissée « ouverte » et « flottante » de leur image ne symbolise-t-elle pas les débuts de cette biennale, où l’état de réflexion n’est pas figé, où chacun sait qu’on avance en marchant, en construisant, en se réunissant, en se battant.

Anne-Marie Fèvre
Design

Meules de foin signalétiques conçues par Formes vives pour la biennale de design graphique à Chaumont, 2017

Biennale de design graphique de Chaumont, au Signe, jusqu’au 24 septembre. 1, place Emile Goguenheim, 52000 Chaumont. 03 25 35 79 01

Catalogue 26e concours international d’affiches, Le Signe, 18 euros.

 

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