“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
De fadaises, mon cher, je sais mal faire assaut,
J’ai la goutte ; et d’ailleurs ne suis point assez sot
Pour disputer le coeur d’aucune Pénélope
Contre un jeune gaillard si prompt à la syncope.
(Ruy Blas)
Délibéré a eu accès à l’enregistrement de l’audition de Penelope Fillon par le parquet national financier, le 30 janvier. Elle répond ici aux questions d’un policier de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, chargé de l’enquête, dont nous avons préservé l’anonymat (d’autant que c’est lui qui nous a transmis la bande).
Policier : Madame, votre mari a déclaré que dans le cadre de vos activités d’assistante vous lui faisiez, je le cite, « remonter les demandes des gens, les évolutions de notre société ». Avez-vous gardé des notes des observations que vous avez ainsi collectées ?
Penelope F : Pas besoin de notes ! J’appelais François dès que j’étais témoin d’un événement qui sortait de l’ordinaire. Et j’appelais au moins trois fois par jour tellement à Sablé les gens marchent sur la tête ! Tenez, l’autre jour, Dorothy – c’est ma déplorable partenaire de bridge – eh bien Dotty me lance : Oh Penny, how dare you bid four hearts with such a miserable hand !
Policier : En français, s’il vous plaît.
Penelope F : Pardon. Donc Dotty, that bitch, enfin bref cette fille a le culot de me dire que je n’aurais jamais dû annoncer quatre coeurs avec un jeu aussi minable. Alors que j’avais 25 points et sept cartes d’atout ! Vous rendez-vous compte ? Puis elle m’a carrément balancé son jeu à la figure !
Policier : Vous avez appelé votre mari pour lui dire ça ?
Penelope F : Évidemment. Il fallait quoi ? Que j’aille à la gendarmerie déposer une main courante ?
Policier : Signaliez-vous des incidents, comment dire, plus en rapport avec les activités politiques de votre mari ?
Penelope F : Vous appelez ça un incident ? Moi, j’appelle ça une monstruosité ! A fucking nightmare !
Policier : S’il vous plaît en fran…
Penelope F : Vous m’avez parfaitement compris ! Alors j’ai dit à Dotty : quand François sera président, ma fille, tu auras intérêt à prendre le large vite fait parce que les excitées dans ton genre… Enfin bref. Et vous savez ce qu’elle m’a répondu ?
Policier : Je ne crois que cela puisse servir beaucoup l’enquête…
Penelope F : Elle m’a répondu : ton mari deviendrait pape que tu ne saurais toujours pas jouer au bridge, my poor Penny. Et sur un ton !
Policier : Passons si vous le voulez bien. Votre mari a également déclaré que vous l’aidiez à corriger ses discours.
Penelope F : Corriger est un faible mot, François écrit comme un cochon. La France ceci, la France cela, mais jamais l’ombre d’une belle métaphore. Et des fautes d’orthographe comme s’il en pleuvait ! Saviez-vous qu’il avait été viré de son collège de Parigné-le-Pôlin – juste à côté de Cérans-Foulletourte, pour vous situer – parce qu’en plein cours de français il avait jeté une ampoule lacrymogène dans la classe ? C’est vous dire à quel point les cours l’intéressaient. Bon, où en étais-je ? Ah oui, alors j’ai attrapé ma tasse de thé et je l’ai balancée sur Dotty. Son carré Hermès est foutu !
Policier : Avez-vous gardé les textes corrigés ?
Penelope F : Les discours ? Oh, ce ne serait pas servir François que de vous les montrer. D’ailleurs j’ai tout jeté quand j’ai rangé le manoir pour notre grande soirée marocaine il y a deux ans. J’avais acheté des poufs mignons comme tout et Maria avait préparé un énorme couscous.
Policier : Il ne reste aucune trace écrite de votre collaboration ?
Penelope F : Ah mais si ! Victor Hugo.
Policier : Victor Hugo ?
Penelope F : C’est un auteur français assez connu me semble-t-il.
Policier : Certes, mais je ne vois pas bien le rapport.
Penelope F : C’est pourtant simple. François n’a jamais eu beaucoup de temps pour lui, il n’a même pas ouvert Les Misérables c’est vous dire, alors il m’a demandé de lire les œuvres complètes pour lui faire des notes de lecture, écrire des résumés, extraire des citations, you know, ce genre de choses. How boring ! Je ne savais pas que cet homme avait noirci autant de papier, et tout n’est pas fameux, je vous le dis. Mais bon, j’ai tout lu de la première à la dernière ligne. Enfin, disons juste la première et la dernière lignes parfois, car je ne sais pas si vous avez jamais essayé de lire son William Shakespeare, mais alors quelle barbe !
Policier : Avez-vous gardé ces résumés ?
Penelope F (tirant triomphalement trois feuilles au format A4 de son sac Chanel) : Et voilà ! Ne faites pas attention à ce que j’ai griffonné au verso, c’est une recette de crumble à la rhubarbe et au steak haché.
Le policier lit : « Notre-Dame de Paris est un livre très très bien avec un bossu et une gitane qui se passe à Paris il y a longtemps. Quelques longueurs mais style très correct. À la fin tout le monde meurt ou presque. »
Policier (levant un regard navré vers Madame Fillon) : C’est court…
Penelope F : Mais c’est suffisant. D’ailleurs je ne suis même pas sûre que François ait lu ce résumé jusqu’au bout.
Le policier continue de lire : « Choses Vues est un bien drôle de livre, mon petit François. Ce sont des petites notes sur tout et n’importe quoi. On dirait notre cuisinière quand elle fait ses listes de courses. Mais bon, Maria n’a jamais écrit sur Louis-Philippe que je sache. Il faudrait déjà qu’elle sache faire une quiche lorraine comestible ! »
Policier (reposant les feuilles) : J’ai peur que nous ne puissions verser cette pièce au dossier, Madame.
Penelope F : Et pourquoi ça je vous prie ?
Policier : Parce que cela ne constitue pas la preuve d’une véritable collaboration.
Penelope F : Vous n’aimez pas mes résumés ?
Policier : Si si, c’est très synthétique mais…
Penelope F : Si vous saviez le temps que ça m’a pris !
Policier : Je n’en doute pas mais…
Penelope F : Alors c’est comme ça ? Vous ne voulez pas de mes notes ? Dans le fond, François avait bien raison de me dire en venant que justice et police, c’étaient crapules et compagnie. J’ai honte pour ce pays, vous m’entendez ? Honte !
Policier : Je vais vous demander de sortir, Madame.
Penelope F : Honte !
Madame Fillon sort de la pièce en donnant au passage un violent coup de pied dans une corbeille à papier. Le policier reste assis, perplexe. Du crumble à la rhubarbe et au steak haché, vraiment ?
Édouard Launet
2017, Année terrible
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