Comme d’habitude c’est bien ma veine.
Tous mes potes sont au bar pour vanner les tos et les fritz, et moi, moi qui suis le meilleur sur la vanne portugaise et germanophobe, je me retrouve dans ce “dîner pro” entouré de couillons béats pour célébrer un premier roman à la con de nature writing d’un obscur écrivain américain, forcément tatoué comme une porte de chiottes, bien évidemment éduqué à l’école de la vie comme dirait l’autre conne, qui se glorifie dans un récit pourtant sans relief aucun d’avoir touché à tout avant de finir dans une université crasseuse du Minnesota.
Encore un de ces romans qui vous vante l’amour inconditionnel des grands espaces entre deux parties lénifiantes de pêche à la truite, le genre de récit aussi bêtement mené que Brokeback Mountain, le film le plus ennuyeux de ces dix dernières années. Putain.
À croire que tous les pêcheurs de crabe en Alaska sont profs de fac, outre-Atlantique. Remarque c’est sans doute pour ça que ces abrutis de non-fumeurs au sourire ultra brite s’acharnent à appeler soccer ce que toute cette foutue planète a toujours nommé football. Rien ne m’a jamais autant énervé que ça.
Enfin bref, autant dire qu’à mon sens, si l’on excepte Faulkner qui aurait fait une bête d’attaquant, c’est tout autant une terre aussi naze en football qu’en littérature.
Évidemment, en entrant dans le restau, tout se déroule comme prévu. C’est l’apanage des médiocres, toujours là où on les attend. L’éditeur pas du tout dans l’emphase, à croire que le mec vient de signer Henri Miller, les attachées de presse sur-cocaïnées et maquillées comme des voitures volées, les quelques confrères présents dubitatifs ou tristes à pleurer de veulerie crasse, bon sang, tout ça commence à me donner chaud.
Le Portugal et l’Autriche, ça par contre, je me dis, ça c’est vraiment des terres de littérature. Et de football. Qui se souvient de la Wunderteam et de Matthias Sindelar ? J’imagine déjà les équipes-types. Pour l’Autriche, c’est facile, méchants comme ils sont, faudrait les faire jouer en 4-3-3, avec un triangle d’attaque composé de Thomas Bernhard, Joseph Winkler, les deux bossus teigneux, et Elfriede Jelinek. Oui, j’ai toujours voulu du football mixte, les résidus d’une éducation axée plutôt MLF je pense. Avec une attaque pareille, tu m’étonnes qu’on devrait cartonner. Déjà rien que physiquement ça effraie, vu les trognes. En milieu, je mettrais bien Peter Handke, Thomas Jonigk pour dynamiser le jeu, et Odon von Horvath, il faut toujours un daron au milieu, l’expérience et la roublardise ça paye.
La défense, elle est évidente dans mon équipe-type autrichienne : Ingeborg Bachman, Shnitzler, Karl Kraus. Là y’a rien qui passe. On est sûr qu’ils déboitent tout le monde et que tous fermeront leurs gueules.
Klagenfurt et la Carinthie en force en résumé ! Ce joli pays, qui a aussi donné naissance à Jorg Haider, l’Autrichien le plus rapide de sa génération après Felix Baumgartner, l’autre nazi à moitié suicidaire. Ce doit être une drôle de région, faudrait que j’y aille un jour avec un bon pote faire des blagues dans les troquets.
Pendant que je rigole tout seul à mes réflexions étranges, forcément, un connard en face de moi commence à se lancer dans une attaque en règle de l’Euro, de l’aliénation présupposée qu’est le football chez les masses laborieuses, comme le khmer rouge de salon qu’il est, il répète scrupuleusement tout ce qu’il a mal digéré dans un édito de Libé, résurgence dégueulasse de ce discours consensuel dont on nous abrutit depuis le début de la compétition.
Un sombre con, qui ne prendra jamais son pied à déconner dans les travées du Parc, qui ne comprendra pas non plus comment on peut entrer en transe quand Vikash Dhorasoo démonte Marseille en finale de la coupe de France d’un but à l’anglaise des plus improbables, comparable à un orgasme, j’ai souvent répété ça en jouissant bien d’ailleurs.
À se demander ce qu’il foutait en 2006, ou même s’il prenait son pied.
Un regard suffit, le mec ferme sa gueule et baisse les yeux. On est en France en 2016, les gens sont courageux, ça s’est accéléré, la pleutrerie, en dix ans seulement.
L’auteur américain fan de pêche au saumon fait son coup du charme aux nanas présentes, qui font semblant de marcher. On n’est pas dupe par ici, vu sa gueule, même avec un bâton elles le toucheraient pas. Bon, allez, finalement tout ça me fait marrer, et puis un repas de pris c’est toujours ça par les temps qui courent, je ne suis pas sûr que tous mes paris sportifs passeront cette semaine, et il faudra bien partir en vacances cet été.
J’en profite pour jeter un coup d’œil sur lequipe.fr. Aucun SMS des potes, ça doit être captivant comme rencontre. 0-0, bah tu m’étonnes. À croire que le Portugal pourtant favori est à la peine.
C’est pourtant assez facile à monter comme équipe et comme tactique. Ça, c’est une vraie nation de football et de littérature. Dommage qu’ils mangent aussi gras. Remarque c’est sans doute leur seul point commun avec l’Autriche, cet amour inconditionnel de la saucisse ou du cochon sous toutes ses formes.
Alors alors, on les ferait pas jouer en 3-5-2, à la Turinoise ? Les avants-centres évidents : Gonçalo Tavares, José Luis Peixoto, du sang neuf avec des guibolles qui tiennent la route. Des milieux de malade, imaginez un peu : Antonio Lobo Antunes, parce que c’est le boss évidemment, et puis un mec qui a fait le Mozambique, je pense qu’on peut s’y fier, ça doit mettre du plomb dans la tête pour organiser le jeu. Luis Camoes évidemment, car un peu de poésie aventureuse n’a jamais nui au jeu, et surtout je mettrais bien Mario de Carvalho dans le couloir gauche. Un dramaturge, c’est toujours précieux, regardez Thiago Motta, il nous a quand même souvent sauvé la mise. Tu rajoutes Lidia Jorge et Urbano Tavares Rodrigues, t’es peinard, la balle circule de génération en génération et pan, tu accélères le jeu.
Enfin, pour la défense, il suffit d’envoyer du lourd, Pessoa en cheville avec Saramago et Herberto Helder, tu prends aucun risque et t’es sûr qu’il pourrait y avoir une belle entente. Entre mecs brillants et discrets, ça devrait coller.
Putain, et ce nul qui n’en finit pas. À table, rebelote, on se lamente des quelques supporteurs portugais qui hurlent dans le bar d’en face. Quelle idée aussi d’organiser ce raout à la con dans le 17e un soir de match. Déjà que sobres, ils sont bruyants, alors imagine un peu. Autant organiser une présentation littéraire au Sao Paolo café un soir de Sporting-Benfica. Sombres cons. Le dîner s’étiole, tous ces gens trop gras commandent des desserts obscènes, comme si leurs artères ne souffraient pas déjà, il est temps de passer au café.
J’en profite pour sortir m’aérer l’esprit et en griller une petite. C’est le moment que choisit ce mastard de Nicola Rizzoli pour siffler la fin de la rencontre.
On ne contient plus les Portugais qui commencent à hurler dans tous les sens, à envahir le restaurant au grand dam du patron gominé et visiblement terrifié par ces hordes de fous furieux. Il tente vainement de repousser le flot lusitanien puant la Sagres tiède en fermant son rideau, je reste au dehors.
Au moins, ç’aura eu le mérite d’écourter quelques adieux pénibles à de beaux enfoirés. Encore une bien belle victoire du football. Tout ça pour un 0-0.
David Rey
À la tête depuis mars 2013, avec Quentin Shoëvaërt-Brossault, de la librairie Atout Livre, présente dans le réseau Librest de librairies de l’Est parisien, David Rey perd l’appétit après chaque défaite du PSG. Il se rêvait entomologiste et marie, sans lien de cause à effet, une passion d’une même intensité pour la littérature et le football.
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