“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Dans un livre d’entretiens publié cette semaine, le président de la République évoque la formation intellectuelle des footballeurs. Les qualifiant de “gosses mal éduqués” –comme si l’éducation ne relevait pas de ses compétences– et de “gars des cités” –comme si le problème des banlieues ne le concernait pas–, il critique leur manque de “références” et de “valeurs”, leur incapacité à discerner “le bien et le mal” et pointe leurs difficultés d’expression. Ce dernier point prête à réflexion.
Le football est un spectacle, et les footballeurs des acteurs. Qui les a vus se rouler par terre au moindre contact et se palper le nez à la recherche de sang dès qu’un crampon passe à moins de trente centimètres de leur visage, en est persuadé. On l’a dit ici : un match ne se joue pas sur la pelouse mais dans l’imagination des supporteurs et, surtout, dans l’esprit de l’arbitre. Influencer sa perception, voilà le travail du footballeur. “Qui ? Moi ?” s’exclame stupéfait le Tartuffe qui vient de casser la jambe de son adversaire et s’en retournait se replacer comme si de rien n’était. Le footballeur joue : au football et la comédie. Son travail consiste à créer l’illusion qu’exige le spectacle. En s’entaillant l’arcade sourcilière avec une lame de rasoir cachée dans son gant pour faire arrêter un match contre le Brésil, le gardien chilien Roberto Rojas ne fit rien d’autre. Ou Fabrizio Ravanelli avec son fameux “auto-croche-patte”. Créer l’illusion théâtrale. Ne dit-on pas que certains centres de formation délivrent des cours de simulation de pénalty ? Le football est un art dramatique…
Or, la communication fait partie de la mise en scène. Comme ils apprennent un rôle, les footballeurs mémorisent aussi des dialogues. La faute aux caméras qui scrutent, aux journalistes qui décortiquent le moindre propos. Pas de place pour l’improvisation. A la télé, dans les journaux, on décrypte, on glose, on refait le match : un seul mot d’un footballeur en génère mille des commentateurs. Seule la Bible a fait l’objet d’une telle exégèse. C’est que la parole footballistique a tout du “fiat” divin : elle provoque les tempêtes. Bien des poètes désireraient que leurs mots déchaînent ainsi les passions…
Conséquence : le verrouillage de la communication. Le footballeur qui s’adresse aux journalistes est comme le funambule sur son fil : la foule n’attend que de le voir tomber. Peut-on lui reprocher sa prudence ? Alors, de rabâcher tous le même discours vide, tautologique, bien-pensant, pour n’offrir aucune prise à la critique. “L’important, c’est le collectif” murmure humblement l’auteur d’un triplé. “Il faut respecter l’adversaire” prône devant les caméras l’entraineur qui vient de s’écrier, dans le secret du vestiaire : “on va leur marcher dessus”. “Je suis bien dans ce club” proclame celui qui a signé un contrat ailleurs le matin même. De belles valeurs pour une rhétorique bien huilée : la rhétorique du vide.
Au football, tout est illusion, et le président de la République s’y est laissé prendre. François Hollande est comme ces enfants au cirque qui hurlent lorsque le trapéziste se manque, oubliant le filin de sécurité, le filet de protection. Pire, il est comme ces hommes de la caverne de Platon qui croient que les ombres portées sur le mur sont la réalité. Il se fait prendre au simulacre, se laisse guider par les apparences : les pauvres n’ont pas de dents, les footballeurs ne savent pas s’exprimer. Il confond l’acteur et le rôle. Les apparences. Il est inquiétant qu’un président ne sache pas voir au-delà…
D’autant plus que les deux professions ont bien des choses en commun, à commencer par le double langage. La pratique du “off” sévit depuis longtemps en politique. Témoin, Un président ne devrait pas dire ça, ce livre d’entretiens privés dans lequel François Hollande dit le contraire de ce qu’il affirme en public, en inversant le principe de vérité : un président devrait dire ce qu’il ne pense pas plutôt que ce qu’il pense ? Ses propos sur la “lâcheté” de la magistrature ne reflètent pas ses opinions, s’excuse-t-il dans une lettre aux juges. Dont acte. Le même argument vaut-il pour Serge Aurier qui a traité son entraîneur de “fiotte” sur Périscope ?
Il est à craindre que la différence ne soit que lexicale. Les uns traitent de “lâche”, les autres de “fiotte”. Est-ce là le problème d’expression pointé par le président de la République ? Un problème de style, d’apparence. La différence entre la banlieue et l’Élysée. Généralisations de café du commerce, critique facile, superficialité des jugements à l’emporte-pièce : manque de “valeurs”, méconnaissance du “bien et du mal” ? Rien de plus, sans doute, qu’une question de forme…
Sébastien Rutés
Footbologies
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