aucune sépulture ici n’en dépasse une autre, comme si le code de l’art funéraire qui régit l’organisation du cimetière était inspiré de la double horizontalité de la mer, d’un côté, que sillonnent les cargos vers l’embouchure de l’Escaut, et de la terre, de l’autre, le plat pays où paissent les wit-blauw
ou comme si l’égalité s’était réfugiée
au cimetière
c’est là que je repose sous des ciels somptueux qui souvent se partagent entre le miroir gris des flots et le vert de la campagne, et dont les quatre vents, comme des artistes jamais satisfaits de leur œuvre, reprennent jour et nuit le modelé
c’est en regardant l’un de ces ciels, un soir de juillet, que je suis morte, lancée de toute la vitesse de mon nouveau vélo à assistance électrique contre cette barrière rouge et blanche qui barrait l’accès de la digue aux voitures et qu’on a pensé que je n’avais pas vue
on a dit que c’était une mort absurde, injuste, on a même osé imbécile, on a écrit des poèmes touchants et ridicules, on a couru après mon souvenir comme font les chiens qui croient rapporter avec une balle baveuse et crevée ce qu’il y a au monde de plus désirable
on m’a carbonisée en disant qu’on m’incinérait et depuis deux ans on dépose là où je suis tombée sous les yeux des vacanciers sableux léchant leur glace des fleurs agonisantes et des cœurs en peluche, un brol dont je n’aurais jamais voulu vivante
on ne comprend pas ceux qui meurent, peut-être parce qu’ils prennent sur ceux qui demeurent une altitude vertigineuse, déchirante et magnifique qui mériterait leur étonnement, leur admiration et ne fait qu’augmenter leur chagrin, on n’entend pas ceux qui sont morts, souvent on ne regarde pas les ciels non plus
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