Quelle musique pour la fin du monde? Jean-Sébastien Bach ou Jimi Hendrix? Te Deum ou Machine Gun? Concert live ou MP3?
L’orchestre du Titanic est réputé avoir joué jusqu’au bout. La légende prétend que son dernier morceau fut My God, To Thee (Plus près de toi mon Dieu). Rescapé du naufrage, un des deux opérateurs radio du bord affirme, lui, avoir entendu les huit musiciens interpréter le cantique Autumn. Certains érudits penchent plutôt pour Songe d’Automne, une valse composée par Archibald Joyce (à écouter ici dans une version de 1912, l’année du naufrage) qui figurait au répertoire de l’ensemble. D’autres enfin assurent que tout cela n’est qu’une belle histoire : en réalité, les musiciens auraient tenté de sauver leur peau comme tout le monde. De toute façon, jouer sur un navire en train de sombrer aurait nécessité un sens de l’équilibre et une foi proprement surnaturels. Comme nous n’en aurons jamais le cœur net, chacun choisira la version qui lui sied.
Le seul musicien français du groupe s’appelait Roger Bricoux. Il était violoncelliste. Son corps n’ayant pas été retrouvé, du moins identifié, les autorités américaines n’ont jamais établi certificat de décès si bien que, lors de la mobilisation de la Première Guerre mondiale, le pauvre homme a été considéré comme déserteur par l’armée française. Il a fallu attendre un jugement d’août 2000 du tribunal de grande instance de Nevers pour que Bricoux soit réhabilité. Bach et Hendrix ne connaîtront pas ce genre de mésaventure puisque leur certificat de décès a été dûment paraphé et que, par ailleurs, il semble peu probable qu’ils nous honorent de leur présence au jour du Jugement dernier.
La grande différence entre les passagers du Titanic et nous, c’est que nous, les amis, nous savons que nous allons droit vers l’iceberg, si tant est que le réchauffement climatique en épargne au moins un. Nous avons donc le temps de réfléchir aux dernières notes que nous aimerions entendre. Pourquoi Hendrix et Bach ? S’il m’est permis d’émettre un avis en tant que passager de troisième classe, je pencherais, côté Bach, pour le prélude en ré majeur BWV 936, si possible interprété par la pianiste Maria Tipo. Le morceau semble avoir été dicté à Jean-Sébastien par le ciel lui-même : il y a dans cette pièce comme une évidence interstellaire. Puisse cette musique des sphères, cristalline et fluide comme une rivière enchantée, couler une dernière fois sur la Terre à jamais dévastée.
S’il fallait opter pour Hendrix, musicien d’apocalypse s’il en fut, mon choix se porterait d’abord sur Who Knows, mais comme ce morceau risque de heurter les oreilles sensibles (et elles le seront particulièrement ce jour-là), je veux bien transiger pour Wait Until Tomorrow (Attends jusqu’à demain), qui sera une supplique de circonstance.
Jimi reposant six pieds sous terre, c’est au gracieux John Mayer que nous demanderons de venir délivrer une dernière interprétation de cette chanson.
Well, I’m standing here, freezing, outside your golden garden
Uh got my ladder, leaned up against your wall
Tonight’s the night we planned to run away together
Come on Dolly Mae, there’s no time to stall
But now you’re telling me…
I think I better wait till tomorrow
I think I better wait till tomorrow
I think I better wait till tomorrow
Got to make sure it’s right, so until tomorrow, goodnight.
Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde
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