“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Comme à la marelle, la ligne de but représente le Ciel. Après que le ballon l’a franchie, les joueurs se signent et désignent, là-haut, quelque bonne étoile, un défunt parent qui les protège, ou le Seigneur lui-même, qui les encourage assis au bord du firmament comme en tribune divine. Le but, c’est le Paradis. Voilà pourquoi la plupart des joueurs éclatent d’une joie pareille à l’extase après avoir marqué.
La plupart des joueurs… sauf Zlatan. Zlatan, après ses buts, est furieux. Il fulmine, bombe le torse, défie ses adversaires du regard, profère ce qu’on imagine être d’anciennes malédictions bosniaques contre des ennemis invisibles. Pourquoi ? Parce Zlatan sait que le Paradis n’est pas pour lui. Zlatan souffre de la condition tragique des héros grecs : se savoir l’un des meilleurs joueurs du monde sans avoir remporté de trophée pour le prouver. Le Destin s’acharne : Zlatan voulait représenter la Bosnie, il doit se contenter de la Suède, absente des deux dernières coupes du Monde, éliminée en poule aux deux derniers Euro ; il n’a jamais remporté la Champions League, ne sait pas se montrer décisif dans les grands rendez-vous ; son passage au FC Barcelone fut un échec ; son Paris Saint-Germain a échoué en quart de finale les trois dernières saisons, dont –ironie du sort– deux fois contre le Barça, et a de nouveau été éliminé mardi, au même stade de la compétition (la malédiction du PSG : son meilleur joueur?). Alors, Zlatan est en colère contre les Dieux du sport : comme d’autres envoient des baisers vers l’azur, lui lance des imprécations. Et se venge de son destin tragique en écrasant de petits clubs de Ligue 1, en passant ses nerfs contre Troyes ou Toulouse. C’est immoral, mais la malédiction qui le frappe n’est pas moins injuste, incompréhensible, tant son talent est grand. Zlatan est maudit, Zlatan est en Enfer, dans la boue du Cinquième Cercle de Dante : celui des Coléreux.
Et puis, il y a Hatem Ben Arfa, qui a marqué les trois buts de la victoire de Nice contre Rennes, un concurrent direct pour la Ligue Europa (3-0). Après ses buts, Ben Arfa n’éclate pas de joie. Il ne sourit même pas, ou à peine. Il ne fulmine pas non plus. Ben Arfa reste imperturbable, son visage ne trahit aucune émotion. Il n’est pas au Paradis, pas en Enfer : Ben Arfa est au Purgatoire, et il le sait.
Ben Arfa a péché : ses relations difficiles avec ses entraîneurs (Gerets et Deschamps à Marseille, Alan Pardew et Steve Bruce en Angleterre, Laurent Blanc en équipe de France) et ses partenaires, ses transferts difficiles, ses écarts de comportements lui ont valu une lente descente vers les enfers du banc des remplaçants de Hull City. Dévoré par le Lion de l’ambition qui barre la route à Dante dans la forêt du vice, aux portes du Tartare. Mais dans leur magnanimité, les Dieux du sport ont envoyé Claude Puel offrir une deuxième chance à l’ange déchu du football français.
A l’OGC Nice, Hatem Ben Arfa patiente sur la première corniche de la montagne du Purgatoire, celle où Dante rencontre les Orgueilleux et foule aux pieds les fresques des tombeaux qui illustrent la chute de Lucifer et la ruine de l’arrogante Troie. Le poète y croise le géant Briarée, que foudroya Jupiter, et Nemrod au pied de la tour de Babel, qui marchent courbés pour expier leur superbe. Ben Arfa est là aussi, qui “ploie sa tête altière sous d’énormes fardeaux”, avec eux il entonne le beati pauperes spiritu de l’Evangile, “bienheureux les pauvres en esprit”, pour les caméras de télévision. Pas un mot plus haut que l’autre, aucun emportement, Ben Arfa s’exerce à l’humilité. Face aux journalistes, il loue ses coéquipiers, son entraîneurs, veille à ne pas se mettre en avant. “Le collectif avant tout”. Sur le terrain, il est altruiste, fait briller ses partenaires, offre des buts sur des plateaux d’argent. En toute modestie, il ne regarde pas vers le haut du classement, ne revendique pas l’équipe de France : n’est-ce pas le châtiment des Orgueilleux que de garder le regard bas ?
Mais le Purgatoire n’est qu’une étape. En haut de la montagne se trouve le Paradis, sur les rives du Léthé dont les eaux effacent le souvenir des péchés commis. Rimbaud eut Une saison en enfer : Ben Arfa passe une saison au Purgatoire. Une seule, très probablement, dans ce Purgatoire qu’est la Ligue 1, où comme d’autres il est venu expier, se refaire une virginité. En attendant la sanctification de l’équipe de France : dans moins d’un mois, on saura si les péchés d’Hatem Ben Arfa sont lavés dans les eaux du Léthé, et si Didier Deschamps a oublié.
Sébastien Rutés
Footbologies
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