“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a récemment déclaré sa flamme à l’Olympique de Marseille. Dans un football français polarisé par la rivalité Paris-Marseille révélatrice de vieux enjeux socio-culturels, voilà une prise de position étonnamment tranchée pour celui que ses adversaires accusent d’être « d’accord avec tout le monde ». Dans des campagnes électorales où tout est précisément calculé par les conseillers en communication, le supporteur voudrait que le choix du club fût celui du cœur. Il n’en est rien, les clubs ont une image qu’il est plus ou moins recommandable d’associer à celle d’un candidat. François Hollande, maître d’Emmanuel Macron dans l’art de ne froisser personne, supporte prudemment l’AS Monaco. Alors, pourquoi ce choix en apparence clivant pour le candidat du consensus ?
Être pour Marseille, c’est d’abord ne pas être pour le Paris Saint-Germain, club sur l’image duquel Nicolas Sarkozy a opéré une OPA. Dans l’imaginaire collectif récent, les deux se superposent ; les reproches fait à l’ancien président par ses nombreux détracteurs le sont aussi au club de la capitale. Le bling-bling, en premier lieu. Dorénavant, voir son image associée au très impopulaire Sarkozy représente un handicap pour un homme politique. Par ailleurs, l’image du PSG reste aussi liée à Canal+ et à BeIN Sports : le PSG, ce sont les médias, ce qui pose problème dans un contexte de défiance vis-à-vis des journalistes. Le PSG, c’est aussi le Qatar : sans parler de politique internationale à l’heure où l’on reproche aux candidats leurs liens supposés avec la Russie, la Syrie ou le Venezuela, c’est surtout avec les politiques libérales des gouvernements antérieurs qu’on craint l’amalgame. Particulièrement dans le cas de l’ancien banquier d’affaire Macron, qui fuit tout ce qui pourrait rappeler son lien à la finance. Bref, en terme de représentations mentales, ne pas supporter le Paris Saint-Germain, c’est prendre ses distances avec le centralisme et l’argent, le « système » et une certaine façon traditionnelle de concevoir le pouvoir.
Alors, pourquoi Marseille et pas un petit club à l’image plus consensuelle ? Sans doute, précisément, parce qu’il faut atténuer l’étiquette de neutralité qui colle à la peau d’Emmanuel Macron, à peu de frais. D’autres candidats doivent lisser leur image, lui a le problème inverse. Une telle prise de position a dû en surprendre plus d’un, tant l’image publique du candidat centriste colle mal à celle de l’Olympique de Marseille. Benoît Hamon, également supporteur de l’OM, passe encore… Mais Emmanuel Macron, ce n’est pas exactement René Malville, le sanguin supporteur à la faconde méridionale dont les médias ont fait un porte-parole officieux du club. Mais policez un peu le langage, que reste-t-il ? La passion ! Exactement ce qui manque à Macron, et qu’il va chercher dans les travées du Vélodrome, hautes en couleur, vibrantes, vivantes. Il n’y a qu’à comparer les slogans pour comprendre la stratégie de communication : « en marche » et « droit au but » !
L’Olympique de Marseille a la réputation d’un club populaire (même si son pourcentage de bonnes opinions est faible, loin derrière un FC Nantes, et que le nombre d’abonnés au Vélodrome est en chute libre cette saison), par opposition à l’élitisme supposé du Paris Saint-Germain, parisianiste et bobo (qui dit représentation mentale dit cliché). Populaire mais pas ouvrier : l’OM n’est pas Sochaux ou le RC Lens (dont Marine Le Pen se déclare supportrice, dans son entreprise de captation du vote ouvrier). Ni la France d’en bas, ni celle des élites : l’OM de Macron, c’est la France dans sa diversité. Avec le temps, l’image sulfureuse héritée de l’ère Tapie s’est un peu atténuée. La rénovation du Vélodrome a scellé le ravalement de façade et l’Américain Frank McCourt apporte une caution atlantiste, à l’inverse des Qataris. Et puis, restera toujours le souvenir de 93 : l’Olympique de Marseille, c’est le club qui gagne (qui a gagné), contrairement au PSG, dont la récente déroute face au Barça risque de confirmer l’idée d’un club qui n’arrive pas à remporter la Ligue des Champions. Mauvais pour l’image de marque d’un homme politique à l’heure où l’Europe est au cœur des débats !
Enfin, il y a la question générationnelle. Club phare des années 90, l’OM est particulièrement populaire dans la tranche d’âge qui a connu la finale de Munich. Les faveurs des plus jeunes vont naturellement à Paris, sur le devant de la scène ces dernières années, mais certains de ceux-là n’ont pas encore le droit de vote, et leur taux d’abstention est élevé. Chez les seniors, c’est Saint-Étienne qui remporte les suffrages, mais cet électorat-là est difficile à capter. Entre les deux, il y a toute la classe d’âge des actifs, qui votent en masse et sont les plus indécis. Le candidat de l’entre-deux, tout juste quarantenaire, ne pouvait que s’y retrouver…
Une chose est sûre : Emmanuel Macron a réussi son coup de comm’. Il s’est démarqué de ses adversaires en se déclarant fan d’un club qui sentait le soufre depuis l’affaire OM-VA et les enveloppes de billets au fond du jardin, mais dont l’image a été polie par les présidences Dreyfus, sans trop entacher (un peu tout de même) sa réputation de ferveur populaire. Pour un peu, Emmanuel Macron passerait pour un intrépide face à ses rivaux qui se disent supporteurs de l’AS Saint-Étienne (Fillon, Dupont-Aignan et même Mélenchon). Là, pas de risque, tant l’image des Verts est figée hors du temps. Les Verts, c’est avant tout la bande à Larqué, l’ange vert, l’épopée européenne de 76. Les Verts représentent la tradition dans l’imaginaire collectif, le football à papa, et des valeurs morales qu’on dénie au football d’aujourd’hui. C’est aussi l’injustice européenne des poteaux carrés de Glasgow, qui doit parler aux souverainistes. Les Verts, c’est d’une certaine façon la France. Et tout ce qui affecterait le club aujourd’hui ne pourrait rien y changer. Pour l’image de marque d’un homme politique, l’AS Saint-Étienne, c’est la sécurité.
Ainsi, le storytelling politique intègre-t-il les mythes footballistiques. Le pari de l’Olympique de Marseille pour bousculer une image trop consensuelle est osé, d’autant que le club ne brille généralement pas par sa stabilité, et dernièrement pas non plus par ses performances. Après son meeting marseillais, Emmanuel Macron s’est rendu au Vélodrome pour assister à un soporifique match nul contre Dijon (1-1). D’aucuns y verront un signe…
Sébastien Rutés
Footbologies
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