“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Le football est le plus individuel des sports collectifs. Sans cela, les joueurs auraient-ils besoin de marteler que “c’est la victoire de toute l’équipe” ou que “l’important, c’est le collectif” ? Ainsi, le Paris Saint-Germain avait-il ces dernières années des airs d’Argo, le navire sur lequel les héros grecs partirent derrière Jason en quête de la Toison d’Or : Héraclès, Thésée, Orphée et même Castor et Pollux réunis sous une même bannière. Malheureusement, on sait comment ça finit : Jason renonce au trône d’Iolcos et l’Argo n’était qu’une galère…
De même, Zlatan Ibrahimovic exilé en Angleterre comme Jason à Corinthe pour n’avoir pas pu conquérir la Champion’s, les Argonautes parisiens sont orphelins. On se dit alors que le navire tenait plus de ceux sur lesquels Ulysse tenta de regagner Ithaque après la guerre de Troie. L’histoire est connue : dès que leur capitaine s’absente, les compagnons d’Ulysse sont la proie de tous les maux. Sur l’île des Lotophages, ils goûtent le lotos, qui fait oublier qui l’on est et d’où l’on vient, et refusent de repartir ; sans leur capitaine pour les remotiver, ils y seraient encore, apathiques et résignés comme les Parisiens cette semaine face à Montpellier (3-0), pour leur troisième défaite de la saison. Combien de fois Zlatan a-t-il sauvé la mise à ses coéquipiers les saisons dernières, comme Ulysse libérant les siens du cyclope Polyphème ou de la magicienne Circé, qui les avait transformés en porcs ?
Mais voilà, les compagnons d’Ulysse sont jaloux, chacun d’entre eux pense pouvoir faire aussi bien que leur roi, et quand celui-ci s’endort, ils ouvrent l’outre offerte par Éole et libèrent les vents néfastes qui les emportent loin d’Ithaque. Tant pis pour eux : sur l’île du Soleil, tous sont foudroyés par Zeus pour avoir dévoré les bœufs d’Hélios et seul Ulysse rentre finalement chez lui. Les joueurs du Paris Saint-Germain ont joyeusement festoyé ces dernières saisons et, désormais sans leur capitaine, ils mangent leur pain noir, livrés aux tempêtes, dans l’attente de l’apparition d’un nouveau leader.
Le mot est lâché : une équipe de football a besoin d’un leader. L’Argo n’est qu’une utopie, il n’y a la place que pour un seul héros sur un navire. Maxwell, qui était à Zlatan ce que Patrocle fut à Achille, n’a pas les épaules assez larges. Thiago Silva fait un bon Euryloque, cet ami d’Ulysse qui conduit l’expédition sur l’île de Circé mais ne peut empêcher la transformation de ses hommes : seulement prévenir Ulysse. Les autres ressemblent à Elpénor, qui trouve une fin peu glorieuse en tombant d’un balcon du palais de Circé parce qu’il s’était enivré : quand le chat n’est pas là…
Ce qui n’empêche pas chacun de se croire à la hauteur. “Il faut que j’assume mon statut”, répètent parfois les joueurs comme un mantra, comme si la méthode Coué révélait les natures, “le coach me demande de prendre mes responsabilités”. Disons les choses, ce mythe de l’homme providentiel n’affecte pas ces derniers temps que les footballeurs du Paris Saint-Germain en mal de leadership. L’ambition est dans l’air du temps. En politique, d’autres se déclarent prêts à “prendre leurs responsabilités” maintenant que leurs Achille et leurs Jason s’en sont allés, d’autres compagnons d’Ulysse qui ont de faux-airs de Prétendants. Comme certains croient pouvoir être des leaders sur le terrain, d’autre s’imaginent déjà sur le trône d’Ithaque, des destins présidentiels à défaut d’être royaux. Des qui se croient élus par les Dieux, des qui ont succombé au chant des sirènes, à la saveur du lotos, des qui se croient prêts à maîtriser les vents d’Éole mais risquent bien de finir dans l’auge de Circé.
En cette période préélectorale, les Prétendants élyséens se pressent comme dans le palais d’Ulysse, le moindre roitelet d’une île perdue se croit capable de conquérir Pénélope, c’est la foire d’empoigne des illusions perdues, le bal des prétendants, le terminus des prétentieux. Le mythe de l’outsider fait des ravages : “après tout, pourquoi pas moi ?”, se demandent-ils en chœur depuis que des candidats donnés archi-battus remportent des victoires électorales que n’avaient pas prévues les modernes augures sondagiers, comme on a vu de petits clubs remporter des championnats à la surprise générale. Mais en politique, les résultats ne dépendent pas de la forme des poteaux…
On n’est pas leader par hasard, et l’on sait comment finissent les Prétendants…
Sébastien Rutés
Footbologies
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