– Comment abordez-vous le match Pays de Galles-Slovaquie ? demande le journaliste, l’œil qui frise d’avoir posé cette question radicalement novatrice.
– Eh bien… Je pense… Que c’est un match important… Que l’équipe est prête… Moralement et techniquement… Concrétiser les actions… Assurer la défense…
C’est généralement à ce moment que je zappe au plus vite avant d’étouffer d’angoisse. Et si je ne trouve pas la télécommande, je cours la tête la première dans le mur d’en face.
Je me cogne du foot. Pas un peu. Pas juste comme ça. Je me cogne du foot viscéralement. Maintenant vous faites comme vous voulez. Mon meilleur ami adore le foot. Je ne dénigre pas. D’ailleurs, à l’instant, mon quartier de banlieue vient de se réveiller. Normal, le milieu de terrain du Real, Gareth Bale, a planté à la dixième minute sur coup-franc et installe son équipe des Dragons à la tête du groupe B avec les huitièmes de finale en vue. Le millionnaire en maillot rouge peut courir dans tous les sens pour le plus grand plaisir du milliardaire auquel il appartient.
D’un autre côté, ce n’est pas rien de marquer un but. Il faut pousser une balle du bout du pied jusque dans un filet et il n’y a que trois espèces au monde capable d’une telle prouesse : les otaries du cirque Bouglione, les orques dépressives du Marineland et les footballeurs. Alors les cris de joie aux fenêtres, c’est un minimum. Ça vaut bien une sardine.
Mais, mis à part les hooligans que je mets de côté par pur fair-play parce que ce serait trop facile, qu’est ce qui m’énerve autant dans le foot ? Serait-ce l’écart inadmissible de leurs salaires par rapport à celui de mon boulanger, alors que j’ai bien plus besoin d’un pain trois céréales que d’un corner bien centré ? Leur manque de générosité, à signer des autographes en tirant la tronche ou à descendre du bus, casque sur les oreilles, histoire d’être sûrs de ne pas dire bonjour aux fans qui sont venus les aduler (les gars, entre nous, achetez-vous de vrais héros). Ou encore cette stupéfiante aptitude à ne rien dire d’intéressant, quelle que soit la longueur de l’interview ? Peut-être aussi suis-je irrité de voir que l’Euro monopolise les conversations de la machine à café, couvre les murs de ma ville d’immondes affiches et kidnappe 25% des journaux télévisés, comme si c’était important. Je veux dire, plus important que la merde infâme de destruction accélérée de notre planète sur fond d’affaires politico-financières et de droite extrême dans laquelle on patauge…
Pourtant c’est bien, le foot. Surtout maintenant. C’est Hollande qui doit bicher. Plus d’El Khomri, plus de Nuit Debout. Du pain et des jeux en somme, voilà comment tenir un peuple. Manquerait plus qu’ils nous américanisent le tout en rajoutant des pom-pom girls, et là on est foutus.
Si un vaisseau extra-terrestre de reconnaissance scannait la planète Terre, histoire de préparer un éventuel contact, ils découvriraient une espèce aux centres d’intérêts particuliers : la guerre, le foot et le coca-cola. En gros, il y a de fortes chances qu’en croisant une baleine, ils puissent penser que l’espèce intellectuellement dominante soit le cétacé. Et s’ils ne croisent pas de baleines, il y a de fortes chances qu’ils nous désintègrent direct. Par précaution. Moi, c’est ce que je ferais, d’un coup de mes tentacules extra-terrestres, je raserais l’endroit pour y faire passer l’autoroute entre Vénus et Saturne.
Mais pas d’envahisseurs en vue, alors pendant que le “musicien” David Guetta appuie sur play pour lancer l’hymne officiel où together rime pertinemment avec forever, les supporters s’entretuent dans les bars et moi, je profite du calme. Le temps d’un match, l’Euro, c’est comme Paris un mois d’août… Rues désertes, trafic fluide. Ça ressemblerait presque à la scène d’intro du film catastrophe 28 jours plus tard, quand le type marche seul dans les rues de Londres après une invasion de zombies. Attention, je ne dis pas que les supporters sont des zombies, ce ne serait pas correct. Mais surtout très logiquement impossible. Les zombies se nourrissent de cerveaux, et dans un stade, c’est probablement la ressource la plus rare. Famine assurée. Sur le terrain n’en parlons pas, personne n’a jamais été témoin d’une telle découverte.
C’est donc sans violence aucune, motivé par des considérations purement paternelles que si un jour mon fils me dit qu’il veut devenir footballeur, je lui pèterai moi-même les deux genoux avec un maillet. Stephen Hawkins n’en a pas eu besoin pour aller aux confins de l’univers.
Je regarderai le foot quand la FIFA sera moins vérolée qu’une prostituée thaïlandaise à la retraite, quand les bénéfices iront à des ONG, quand les supporters arriveront à se mélanger, à se serrer la main quel que soit le résultat et sans se coller un fumigène dans l’œil, quand on arrêtera de partouzer la langue française dans les vestiaires, quand le salaire annuel d’un joueur ne dépassera pas celui de 13 vies d’ouvrier et quand ils remplaceront la pelouse par une piscine et que ça s’appellera du plongeon.
D’ici là, je fais comme les vieux cons que les jeunes dérangent, je prends le ballon et je le shoote au loin.
Olivier Norek
Olivier Norek est lieutenant de police à la section enquêtes et recherches du SDPJ 93 depuis dix-sept ans, il est l’auteur de Code 93 (Michel Lafon, 2013) et de Territoires (Michel Lafon, 2014). Il a également obtenu pour Surtensions (Michel Lafon, 2014) le Prix Le Point du Polar européen 2016 décerné à l’occasion du festival international Quais du Polar de Lyon.
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