Insultologie Appliquée. La Terre se réchauffe, les esprits s’échauffent, les chefs d’État s’injurient : l’insulte est l’avenir d’un monde en décomposition. Chaque semaine, la preuve par l’exemple.
C’est l’année des fils de pute. Donald Trump ? « Un fils de pute », a déclaré Rashida Tlaib, nouvelle représentante démocrate au Congrès américain, lors de sa prestation de serment en janvier. Emmanuel Macron ? « Fils de pute ! » ont hurlé à loisir quelques gilets jaunes lors de la grande effervescence du printemps. Hugues Renson, candidat malheureux à l’investiture LREM pour les prochaines municipales à Paris ? « Un fils de pute », a jugé Benjamin Griveaux (lui, finalement investi) auprès de ses proches, comme l’a rapporté le magazine Le Point en juillet. Nicolas Dupont-Aignan ? « Un fils de pute », a fait savoir, via son compte Snapchat, le rappeur Lacrim assez mécontent d’une déclaration à l’emporte-pièce du président de Debout la France sur l’Algérie. Le footballeur Neymar ? « Un fils de pute », ont hurlé les supporters du PSG lors du premier match de l’équipe en août, guère satisfaits des palinodies et déclarations diverses de la star. Harvey Weinstein, dont le procès doit s’ouvrir en septembre ? « Un fils de pute », a déclaré sur un plateau de télévision Antoine de Caunes, dont la fille a eu maille à partir avec le producteur. Et l’année est loin d’être terminée…
L’an prochain sera-t-il celui des salopes et des enculés ? On peut en douter car les fils de pute ont la peau dure, si bien qu’ils pourraient bien squatter la planète jusqu’au grand effondrement. D’ailleurs ils ne sont pas nés d’hier : fils de pute est une injure apparue avec les premières péripatéticiennes, or celles-ci exercent le plus vieux métier du monde comme chacun sait. Le grand Molière lui-même, dans sa pièce Amphitryon (acte 3, scène VI), fait dire au personnage de Sosie : « Que je te rosserais, si j’avais du courage, double fils de putain, de trop d’orgueil enflé ! ». Le compliment est adressé au personnage de Mercure, qui répond : « Que dis-tu ? ». Sosie : « Rien. » C’est qu’à l’époque, on n’osait pas trop répéter cette insulte. Aujourd’hui on la tweete et on la retweete.
Va te faire, mon cher
On la chante aussi : fils de pute et son of a bitch sont quasiment des ponctuations dans les textes des rappeurs (fille de pute reste rare, salope et pute tout court étant d’un usage plus courant). Enculé de fils de pute est une variante superlative, bâtard une forme atténuée. Les footballeurs au sang chaud, qui écoutent beaucoup de rap, en font un usage massif. « Va te faire enculer, sale fils de pute ! » a lancé un jour Nicolas Anelka au sélectionneur Raymond Domenech. Samir Nasri a naguère tenu sensiblement le même langage à un journaliste de l’AFP : « Va te faire enculer, va niquer ta mère, sale fils de pute », lui a-t-il dit. Niquer sa mère quand on est un fils de pute est sans doute la recette pour produire le double fils de pute qu’évoque Molière, quoi qu’il soit peu probable que Nasri ait voulu, par ses mots, rendre hommage au patrimoine théâtral.
Une énorme putasserie
Le 16 juillet 1945, à l’issue du premier essai nucléaire dans le désert du Nouveau-Mexique, le physicien américain Kenneth Bainbridge, responsable de l’opération, avait déclaré à Robert Oppenheimer, patron du projet Manhattan : « Maintenant nous sommes tous des fils de putes. » Ce tous désignait l’ensemble des scientifiques qui avaient libéré l’énergie atomique à des fins meurtrières. Aujourd’hui, il pourrait englober toute l’humanité, elle qui regarde sans trop réagir la course folle — climatique, politique et langagière — d’une planète en route pour la grande explosion. Le jour de l’Apocalypse, Dieu sera ainsi en droit de s’exclamer : « Ah, les fils de pute, ils m’ont niqué toute la Création ! »
Édouard Launet
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