“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Le latéral du Paris Saint-Germain Serge Aurier a insulté ses coéquipiers et son entraîneur au cours d’un vidéo-chat public sur le réseau social Periscope. Le lendemain, sa première ligne de défense fut de crier à la manipulation : la vidéo aurait été truquée. Plus tard, il a accepté les faits et présenté ses excuses.
Ce qui frappe, c’est la similitude entre sa réaction initiale et celles qui sont la norme sur un terrain : le déni de réalité. Le joueur touche-t-il le ballon de la main ? Il prétend que c’était la poitrine. Tacle-t-il à un mètre de la balle ? Il jure qu’il n’a touché qu’elle. La pousse-t-il en corner ? Il affirme que son adversaire l’a contrée le dernier. De même pour la vidéo : dans le monde du football, on ne croit pas à l’homogénéité entre la réalité et sa perception, distorsion déjà évoquée dans une précédente chronique.
Il faut y voir plus que la simple puérilité de l’enfant pris la main dans le pot de confiture et qui jure : “C’est pas moi !”. Lors de scandales impliquant des joueurs – violences, insultes et autres attentats à la pudeur –, leurs défenseurs tempèrent systématiquement : “ce n’est pas son genre, il n’est pas comme ça dans la vie”. On prétexte alors des influences néfastes, de mauvaises fréquentations, mais une question subsiste : le football n’est donc pas la vie ?
Pour le footballeur, la frontière est tenue entre vie professionnelle, publique, et vie privée, et dans le star-system d’un sport surmédiatisé, cet amalgame rejoint un caractère fondamental du sport moderne : son statut de spectacle. Les footballeurs y sont des acteurs en représentation constante, qui assument un rôle défini par leur milieu, les clichés propres à la culture footballistique et les attentes du public, liées elles-mêmes à des modes. On entend souvent dire que les footballeurs ne vivent pas dans la réalité. L’argent en serait la cause, qui les éloignerait des problématiques terre à terre des gens normaux, les enfermerait dans une tour d’ivoire, leur ferait perdre de vue la valeur des choses. Mais ne serait-ce pas tout simplement la société du spectacle qui le voudrait ?
Conséquence de cette superposition des sphères publiques et privées, certains des modes de fonctionnement et des codes du football débordent le cadre du terrain pour s’appliquer en-dehors. Dans sa conférence de presse, Laurent Blanc a parlé d’une “génération qui passe son temps à s’excuser”. Complexe du erase and rewind pour une génération de joueurs de console-vidéo ? Ne serait-ce pas plutôt que le football, du fait de ses implications économiques, est passé du statut de passe-temps pour les joueurs à une réalité à part entière en-dehors de laquelle rien n’existe, comme sur les murs blancs de cette pièce où Serge Aurier chatte tristement ?
Première conséquence de cette substitution ce cultures : la remise en question du statut du réel.
À force de contester l’évidence, semaine après semaine, par habitude, on perd la notion de ce qu’elle est. Sur un terrain, il n’y a pas de preuve, rien d’incontestable, seulement des sensations et des interprétations. Le réel n’a alors plus vraiment d’importance en soi : il peut être mis en doute, contredit. Le joueur n’est pas seul responsable : l’arbitre aussi, qui accorde un but qui n’y est pas, qui sanctionne un hors-jeu imaginaire. Le réel est une construction commune, on peut donc légitimement en contester la valeur.
L’adoption en Ligue 1 de la goal-line a beau avoir apporté un premier et bénéfique référent d’incontestabilité, la réalité du football est virtuelle, on ne joue pas sur un terrain mais dans l’esprit des supporteurs ou d’un arbitre. C’est ce qui fait sa beauté, car tout y est possible, mais aussi ses limites : pas de responsabilités à assumer sur un terrain, rien de ce qui s’y passe n’a d’objectivité. L’arbitre seul est coupable d’avoir vu une faute, pas le joueur de l’avoir commise. De même, pour Serge Aurier, c’est la faute à la vidéo…
Sébastien Rutés
Footbologies
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